Après avoir coordonné en 2021, le premier volet du numéro double sur les Arts de faire concernant la question des Modes d’existence de l’Atelier en art et en design, nous souhaitons interroger en 2022 : les manières de fabriquer le paysage en arts et en design et dans les médias.
Une révolution symbolique est actuellement à l’œuvre, nous aimerions en faire état et en anticiper les possibles. Le paradigme de l’anthropocène demande, en effet, une nouvelle conception de la notion de projet comprise comme conduite de valuation1 en rapport avec le vivant. Plus largement, il s’agit de mesurer et de penser les enjeux de la situation présente en révisant les « valeurs projets », c’est-à-dire, les relations entre des situations, des moyens et des fins d’un point de vue éthique, politique et esthétique.
Nos interrogations au plan épistémologique porteront donc plus précisément sur :
— les transferts de notions théoriques, de méthodes scientifiques et professionnelles, d'usages2 et de pratiques paysagères.
— les relations paysagères qui dessinent à la fois l’actualité et la virtualité des cartographies sensibles qui fabriquent les représentations du paysage.
— les usages et les pratiques paysagères savantes et ordinaires.
Le paysage nous semble donc compréhensible du point de vue épistémologique :
— En premier lieu, comme environnement : il implique ainsi des sites et des situations de transaction3 et un ensemble de ressources à ménager.
— En deuxième lieu, comme fragment de territoire cartographiable : il couvre une étendue articulée à des limites physiques, symboliques, imaginaires. Il interroge l’échelle et plus largement la configuration du territoire.
— En troisième lieu, comme étendue de nature culturalisée : il permet de penser l’historicité de l’artificialisation des milieux et de l’art du paysage.
— En quatrième lieu, comme scène-paysage devenant image-paysage qui structure les pratiques ordinaires.
— En cinquième lieu, comme médialité du vivant : Il est réalité sociale objectivée dans un système éco-techno-symbolique particulier lié à un contexte socio-historique donné. Il participe, en ce sens à la construction du commun ordinaire quotidien situé.
1. Penser la Fabrique du paysage
Faut-il penser le paysage comme un environnement, un milieu, une relation entre des humains et des non-humains pour renouveler le dialogue théorique et pratique entre l’art, le design et le paysage ?
La notion d’environnement, concerne le paysage et donc implique un tiers inclus, en immersion. Ceci a pour conséquence de produire une vision anthropocentrée du paysage qui limite le point de vue.
La notion de milieu, quant à elle, nous ouvre des perspectives multiples. Le milieu compris comme lieu, à la fois ressource et médialité4 nous permet d’envisager la fabrique du paysage sous un angle plus pertinent.
En avançant la question de la relation, il s’agit pour nous de renouveler les outils conceptuels nécessaires pour pouvoir saisir les configurations, les organisations, les techniques et les manières de faire, participant à la fabrique du paysage dans ses différentes temporalités.
La fabrique, comprise comme milieu du faire, est un processus situé. La fabrique du paysage est donc à penser comme un processus de transactions entre un milieu (son écosystème, sa biodiversité, ses ressources vivantes ou non-vivantes) et un ou des acteurs humains, en vue d’objectifs répondant à une éthique située. Une révision du projet comme conduite de valuation nous semble pouvoir être opérée dans la logique de cette fabrique du paysage.
— Quelles relations penser aujourd’hui, entre le paysage et le faire dans les usages quotidiens et les pratiques professionnelles du paysage ?
— Quelles manières de faire paysage s’offrent aujourd’hui aux designers, aux artistes et aux professionnels du paysage pour imaginer, construire et tester les alternatives au paysage consumériste ?
— Comment ces processus engagent-ils une redéfinition du paysage sous le prisme de ses nouvelles pratiques ?
2. La Fabrique du paysage dans sa dimension sensible et symbolique
Du climat à l’ambiance, en passant par l’atmosphère, il s’agit de comprendre comment à partir des conditions climatiques qui baignent un paysage, l’ambiance et l’atmosphère opèrent concrètement et symboliquement comme médialités paysagères, dans la fabrique du paysage.
La société utilitariste et productiviste dans laquelle nous vivons, dénie l’expérience sensible du paysage. Car, en médiatisant à outrance les images de paysages, elle dénie la réalité paysagère, et de ce fait, amoindrie l’expérience paysagère vécue par un sujet ; la réduisant à la simple consommation d’images plaisantes et spectaculaires. Par ailleurs, en facilitant, par le tourisme de masse, l’accès des consommateurs à des paysages de plus en plus formatés, elle réduit la résistance entre le sociétal et le milieu, déniant les situations paysagères concrètes. Ainsi, la production massive des images médiatiques (photographiques ou vidéographiques) ou des images touristiques perçues in situ par les flux de consommateurs, remettent en question les manières d’habiter, de faire avec la terre et le ciel, le ciel et la mer, la montagne et la plaine, la ville et la nature environnante, les métropoles et le péri-métropolitain.
— En quoi la question du sensible (urbain et péri-urbain, rural, littoral, montagnard, etc.) à l’ère de l’anthropocène renouvelle à la fois la définition, la conception et la réalisation de projets de paysage ?
— Comment les ambiances créées par les produits du design, mis en scène plus ou moins consciemment, participent-elles à la fabrication de la réalité physique et sensorielle d’un paysage ?
— Comment les images commerciales dialoguent-elles avec nos représentations intimes du paysage vécu au travers de nos usages dans l’ordinaire quotidien ?
— Quel est le rapport des artistes contemporains avec la fabrique du paysage, depuis le Land Art ?
3. La fabrique du paysage comme commun
La théorie de la médiance5, chez Augustin Berque, avance une logique du lieu (du prédicat) contre la logique de l’être (absolu). Elle s’oppose donc à la logique du tiers exclu (avancée par Aristote). Berque démontre la trajectivité des choses : l’ek-sister (au sens Heideggérien) et non l’être absolu de la métaphysique nous tient en relation avec un milieu qui pour l’espèce humaine est le monde. Par monde, il entend ce qui est commun à une espèce donnée, ici, en l’occurrence l’espèce humaine.
L’art, le design et le paysage ont pour rôle, alors de participer au renouvellement de l’environnement physique et techno-symbolique de l’espèce humaine. Dans ces conditions, pour le design, il y a une nécessité vitale, sémio-biologique (et non sociobiologique) à faire avec l’environnement pour pouvoir construire un milieu vivant qui fait sens comme monde à habiter.
— Comment la fabrique du paysage œuvre-elle à la construction du commun d’un monde à habiter ?
— Pour le design aujourd’hui, quelles sont les valeurs, c’est-à-dire les relations entre des conditions, des moyens et des fins, qui configurent un milieu vivant ?
— Comment l’art des plasticiens du paysage participe ou non à la construction du commun ?
4. La fabrique de la médialité paysagère
Que ce soit l’art, le design ou le paysagisme, ces disciplines produisent de la médialité, c’est-à-dire de ressources physiques et techno-symboliques. À ce titre, elles participent à la médialité du paysage ordinaire quotidien. Le trajectif, selon Berque, lie la condition humaine à l’écriture de l’histoire, à la nécessité d’écrire dans l’ordinaire quotidien une histoire du commun, sous peine de le faire disparaître. La responsabilité des praticiens engagés dans la fabrique du paysage est donc de produire des formes à l’identité stable,du moins pour un certain temps. Ce processus permet ainsi à ces formes de jouer leur rôle médial. Elles s’objectivent alors comme réalités sociales dans un système éco-techno-symbolique lié à un contexte socio-historique donné. La responsabilité des praticiens repose donc sur la prise en compte de l’historicité de ces formes vis-à-vis d’une éthique située.
— Si le paysage est un commun vital, existentiel inscrit dans une historicité, comment les designers, les artistes ou les paysagistes prennent-ils en compte cette historicité dans leurs projets ?
— De quelle manière, dans la fabrique du paysage, l’historicité des formes médiales du paysage peut-elle constituer un patrimoine commun ? Quid de la conservation du vivant-paysage ?
— Le paysage ne se limite pas aux espaces extérieurs, il pénètre aussi nos lieux d’habitation. Comment la médialité du design construit-elle nos paysages domestiques ?
— Comment l’art et le design, construisent-ils la relation entre le paysage domestique et le paysage qui l’environne ?
Pour répondre à cet appel à contribution les orientations transdisciplinaires sont à privilégier :
Design, Arts, Médias, Paysagisme...
Histoire et théorie du Design, des Arts et du Paysage
Esthétique
Philosophie
Anthropologique des pratiques
Analyse critique, sociale et politique
Notre appel à contribution se donne donc pour but du susciter du débat à partir de points de vue différents sur un objet complexe qui reste encore difficile à appréhender aujourd’hui : le landscape design.
Modalités de contribution :
Les propositions sont à retourner pour le 25 mai 2022 à l'adresse suivante :
claire.azema@u-bordeaux-montaigne.fr**
Il vous est demandé un résumé (entre 2000 et 3000 signes) présentant votre proposition d'article. Merci de joindre dans votre document une courte bibliographie, ainsi qu’une biographie de 4 lignes environ. Les résumés envoyés ainsi que les articles pourront être rédigés en français ou en anglais.
Calendrier :
25 Mai : retour des propositions des auteurs intéressés
1er juin : retour sur l’acceptation ou non de la proposition
1er juillet : retour des articles pour expertise. Envoi des articles aux experts
7 septembre : retour des avis du comité scientifique
7 octobre : retour définitif des articles corrigés par les auteurs
7 novembre : publication en ligne
Pour toute question et information complémentaire, merci d’utiliser la même adresse mail que pour l’envoi des propositions.
Bibliographie indicative :
BEGOUT, Bruce, Le concept d’ambiance, Paris, Seuil, 2020.
BERGSON, Henri, Matière et mémoire (1896) ; rééd. Paris, PUF, 2012.
BERQUE, Augustin, Médiance : de milieux en paysages (1990), Paris, Belin, 2000.
CHOMARAT-RUIZ, Précis de paysagétique, Valenciennes, PUV, Collection Contrée &Concepts, 2014.
DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Félix, « Géologie de la morale », in Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux, Paris, Ed. Minuit, 1980.
DEWEY, John, Expérience et nature, Paris, Gallimard, Nrf, Traduit par Joëlle Zask, 2012.
DEWEY, John, L’art comme expérience, Paris, Gallimard, coll. Folio, traduit de l’anglais (États-Unis) sous la coordination de Jean-Pierre Cometti, 2010.
TIBERGHIEN, Gilles, Le paysage est une traversée, Marseille, Parenthèses, 2020.
TIBERGHIEN, Gilles, Nature, art, paysage, Versailles et Arles, ENSP, Actes Sud, 2001.
UEXKÜLL, Jakob (von), Milieu animal et milieu humain, Paris, Payot et Rivages, traduit par Charles Martin-Fréville, 2010.
Histoire culturelle du paysage :
COLLOT, Michel, La pensée paysage, Versailles et Arles, École nationale supérieure de paysage et Actes Sud, 2011.
JAKOB, Michael, Le Paysage, Gollion, In folio, Archigraphy, Traduit par Josette Dall’ava-Santucci, 2008.
MILANI, Raffaele, Esthétiques du paysage, art et contemplation, Versailles et Arles, ENSP, Actes Sud, Traduit par Gilles A. Tiberghien, 2005.
WYLIE, John, Le paysage, manières de voir, Arles et Versailles, Actes Sud et École nationale supérieure du paysage, Traduit par Xavier Carrière, 2015.
Projet paysager :
CLÉMENT, Gilles, Le manifeste du tiers paysage, Paris, éditions du commun, 2020.
CORAJOUD, Michel, Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, Versailles et Arles, ENSP, Actes Sud, 2010.
DESVIGNE, Michel, Territoires en projet, Basel, Birkhäuser Verlag, 2020.
Les Carnets du paysage (1998-...), revue publiée par l’École Nationale Supérieure du Paysage et Actes Sud.
Projets de paysage, revue scientifique sur la conception et l’aménagement de l’espace (2008-), publiée par l’École Nationale Supérieure du Paysage, en ligne à l’adresse http://www.projetsdepaysage.fr
Territoire en projet :
MAGNGHI, Alberto, Le projet local, Sprimont, Mardaga, Architecture + Recherches, Traduit et adapté par Marlène Raiola et Amélie Tetita, 2003.
ROLLOT, Mathias, Les territoires du vivant, Paris, Les Pérégrines, 2018.
Études rurales, EHESS, http://www.editions.ehess.fr/revues/etudes-rurales/
Revue Topophile, https://topophile.net/
Art, Design et paysage :
DUHEM, Ludovic (dir.) Design des territoires, L'enseignement de la Biorégion, Les Lilas, Editions Etérotopia, 2020.
GEEL, Catherine (dir), Design. De la nature à l’environnement. Nouvelles définitions, Paris, T&P Work Unit, T&P Publishing, 2019.
notes
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DEWEY, John, La formation des valeurs, Paris, La découverte, Les empêcheurs de penser en rond, Textes traduits et présentés par Alexandra Bidet, Louis Quéré et Gérôme Truc, 2011. ↩
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Pour nous, dans l'élaboration d'une analyse des manières de faire paysage, il s'agit de distinguer, pour mieux appréhender l'inventivité des usagers du paysage, les études d'usages des études des pratiques. En effet, en se référant à l'analyse foucaldienne qui fait de l'usage : une pratique réglée, fondamentalement contrainte et à la foisun espace de liberté, il s'agit de ne pas confondre l'usager et l'utilisateur. En ce sens, il faut également considérer que les usages structurent les pratiques, ces dernières les actualisant en fonction des situations. ↩
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DEWEY, John, Expérience et Nature, Paris, Gallimard, Nrf, Traduit par Joëlle Zask, 2012. ↩
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Les travaux d'Augustin Berque tendent à montrer que l'humain est lié à la fois à l'étendue physique terrestre, à la biosphère, et à un milieu spécifique entendu comme monde. L'homme est donc un être éco-bio-techno-symbolique pour reprendre son expression. L'humain se tient donc dans un double corps : corps animal et corps médial qu'il faut nourrir, physiquement pour l'un et techno-symboliquement pour l'autre. Selon Christian Malaurie, l'art, le design ou le paysagisme, sont producteurs de médialité, c'est-à-dire de signes et de valeurs objectivées dans des artefacts, des usages, bref des énoncés de divers types. ↩
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BERQUE, Augustin, Médiance : de milieux en paysages (1990); réed. Paris, Belin, 2000. ↩