Séance n°8, mercredi 17 mars 2021. Propos recueilli par Nicolas Lepreux et Guillaume Svobodny.
Figure 1. Synthèse graphique 8, Lucy Doherty.
Podcast 8
1. Présentation par Catherine Chomarat-Ruiz
Bonsoir à toutes et à tous, bienvenue pour cette dernière séance du cycle organisé pour et par les étudiants de Master 2 « Design, Arts, Médias » de Paris 1. Ce soir, le thème retenu est celui de la question des enjeux pour une collection de design aujourd’hui avec, comme invité, Olivier Zeitoun, attaché de conservation, au département Design et prospective industrielle du Centre Pompidou, dirigé par Marie-Ange Brayer, conservatrice, cheffe du service. L’objectif est de débattre de cette thématique. Pour information, le premier numéro de la revue Design, Arts, Médias justement a porté sur la question de l’exposition , et c’est aussi un sujet qui a été largement débattu au cours de cours de Master 2 cette année1.
2. Conférence d’Olivier Zeitoun : introduction
Cette prise de parole va donc s’organiser en trois parties, avec tout d’abord une introduction autour du CCI (centre de création industrielle), puis nous survolerons rapidement les collection du département design, en nous focalisant sur la scène française, afin de comprendre comment une collection se construit et s’articule, quels peuvent en être les différents enjeux, et quelles seraient finalement les stratégies d’acquisition à développer au regard de ce qui est historiquement constitué au Centre Pompidou. Nous nous pencherons aussi sur des chiffres plus généraux propres à la collection, et qui portent sur des questions beaucoup plus contemporaines de lecture et de relecture de la construction historique de la collection. Quelles périodes historiques sont aujourd’hui les mieux représentées dans nos collections ? Quelles scènes et régions du monde le sont également ? Quelle est la place des designers femmes par exemple, qui est une question importante dans une lecture contemporaine de la collection. En troisième partie, je vous présenterai les expositions qui ont été réalisées par le service Design et prospective industrielle du MNAM, sous l’impulsion de Marie-Ange Brayer, conservatrice en cheffe, et où je travaille depuis 2017. Nous en étudierons les différents enjeux, notamment de monstration des objets de design et des œuvres d’art : quels choix sont opérés pendant le travail de recherche puis de mise en œuvre d’une exposition ? Quels sont les partis pris qui vont différer d’une exposition de design historique, issue de nos collections par exemple, à une exposition, à l’inverse prospective, portant sur des sujets de société, qui vise à présenter la scène contemporaine : au frontière, comme vous le disiez Catherine, de l’art, de l’architecture, et du design.
3. Du CCI (centre de création industrielle) au Centre Pompidou
3.1 Qu’est ce que le CCI ?
L’histoire du CCI est vraiment passionnante. Vous pouvez vous référer à l’article de l’article de Marie- Ange Brayer commandé pour la plateforme en ligne du master sur « Exposer le design » où elle évoque entre autres les typologies d’expositions au CCI. En 1969, le centre de création industrielle est créé, avec pour objectif de rapprocher le design, qui été alors encore appelé l’esthétique industrielle, de l’industrie. Une exposition inaugurale a eu lieu cette année-là qui s’appelle « qu’est-ce que le design ? ». A cette époque, de nombreux design centers émergent un peu partout en Europe, et le CCI qui était initialement rattaché à l’union central des arts décoratifs, va rapidement devenir un département du futur Centre Pompidou, qui ouvrira en 1977. La nouveauté et la volonté du CCI a été de se tourner vers la sociologie des usages, de mettre l’accent sur l’innovation, qui est au cœur des enjeux industriels et d’en donner une lecture au grand public. Les expositions du CCI mêlant à la fois design, sociologie et urbanisme ont été prescriptrices et ont marqué les années 80, en développant de nouveaux formats d’exposition, en présentant aussi bien des objets du quotidien, mais aussi des objets liés à l’habitat et aux transports, avec toujours cette idée de répondre à l’actualité de la société. Entre 1976 et 1982 par exemple, le CCI a organisé plus de mille expositions.
Le CCI était bien plus qu’un lieu d’exposition, c’était aussi un centre de recherche, d’information de documentation, une galerie des arts quotidiens, où la dimension de communication visuelle était très forte. C’était vraiment un centre de recherche protéiforme actif à de nombreux niveaux, auprès du grand public et des collectivités, et qui a été appuyé par un outil théorique important et exceptionnel, qui était la revue Traverses, crée par Jean Baudrillard dès 1975 à laquelle de nombreux philosophes ont participé, comme Michel de Certeau, Paul Virilio…
3.2 « Qu’est-ce que le design ? », 1969
Comme je vous le disais, la première exposition du CCI, s’intitule « Qu’est-ce que le design ?». Elle consistait à rassembler cinq designers importants de l’époque : Verner Panton, Charles Eames, Roger Tallon, Joe Colombo et Fritz Eichler. L’exposition mettait en avant les innovations apportées par chacun de ces designers, qui à cette époque, se situent à un moment clé, où la notion d’environnements est mise en avant, dépassant celle de l’objet. Par exemple, Joe Colombo développe une dimension multifonctionnelle et modulaire des objets, Verner Panton s’intéresse aux espaces multisensoriels de l’environnement domestique. Ces dimensions sont ainsi développées au sein de l’exposition. Vous pouvez voir sur la diapo, ici une vue de l’exposition et là des visuels du travail de Colombo. Pour l’exposition, les Eames choisissent quant à eux de revenir sur le rôle clé du designer au sein de la société et de ses interactions avec les différents acteurs sociétaux. Tallon est présent, avec le design industriel français des années 60 et 70. Ce sont vraiment ces nouveaux rapports aux modes de vie qui sont mis en avant de manière inaugurale en 1969 et qui annoncent toutes les ambitions de l’institution naissante. Ces idées renvoient à la notion de comportement physique, d’interactions de l’utilisateur, au-delà d’un certain fonctionnalisme, ce qui vient élargir la question du design. Finalement, peut-être que le CCI n’a eu de cesse, d’élargir sans arrêt en s’ouvrant à d’autres champs. C’est cet héritage-là qui nous intéresse aujourd’hui au sein du département design et prospective industrielle. L’ambition du CCI était de donner pour la première fois au grand public des outils permettant de comprendre le design industriel, qui n’était à l‘époque pas valorisé comme discipline à part entière.
3.3 Les expositions du CCI
Les expositions les plus marquantes, qui ont eu lieu à la fin des années 70 et 80, ont mis l’accent sur le rôle actif et critique du visiteur, avec cette dimension participative qui était très forte, éclairée par de nouvelles approches sociales et symboliques que véhicule l’esthétique industrielle. Vous pouvez voir ici quelques exemples de scénographies assez impressionnantes qui ont été réalisées par le CCI, comme l’exposition des architectes radicaux autrichiens Haus-Rucker-co Archéologie de la ville en 1977. Nouvelle tendance, dix ans plus tard, les avant-gardes du XXe siècle, avec cette entrée monumentale, qui s'apparente à une façade d’architecture inclinée à l’oblique, au moment où émergeait le mouvement architectural déconstructiviste sur la scène internationale. Dans cette exposition, il est possible de voir que des objets de design cohabitent avec des œuvres d’art, avec des objets présentés, non pas sur des socles, mais dans l’espace, à même le sol, dans une scénographie immersive. Cette scénographie permet une déambulation libre du visiteur particulièrement intéressante. Et c’est des objets de design qui sont réellement mis en scène tel des théâtres d’objet, on a donc cette idée de Period Room, avec des tapis au sol, immergé dans les motifs décoratifs du dispositif. On retrouve cette même idée dans d’autres expositions, comme le Mobilier Suisse, l’exposition Loewy, où le parcours libre permet au spectateur de se perdre. Nous finirons avec le CCI sur une exposition très importante qui est celle de Gaetano Pesce, Le temps des questions, en 1996. Pesce a mêlé art et design, a fait partie de ces designers qui ont conçu les expositions les plus novatrices. Chaque jour des objets supplémentaires étaient cachés dans l’exposition, le visiteur ne voyant jamais qu’une seule partie de l’exposition. Ce dernier disait avoir pensé l’exposition un peu à la manière d’une ville : jamais entièrement saisissable, comme une entité organique connaissant ses propres flux et reflux.
Voilà donc quelques éléments de l’héritage du CCI, avant de se plonger rapidement pendant une petite trentaine de minutes sur la collection design et prospective industrielle. Une collection qui est donc le résultat d’une fusion qui s’est opérée en 1992 : le Centre de création industrielle (Cci) a fusionné avec le Musée national d’art moderne (Mnam), pour devenir le Musée national d'art moderne – Centre de création industrielle (Mnam–Cci), le CCI étant ainsi rattaché au musée du Centre Pompidou.
4. Les collections design et prospective industrielle
4.1 Quelques chiffres
Nous allons à présent nous pencher rapidement sur les collections design et prospective industrielle. La grande différence de la collection design du Centre Pompidou des autres principales collections publiques françaises que sont celles des Arts Décoratifs, du CNAP, du Musée d'Art Moderne de Saint-Étienne, ou du musée de Bordeaux, réside dans le fait qu’elle a été construite au sein d'un musée d'art moderne, qui a toujours valorisé cette dimension transversale, propre au Centre Pompidou. Cela est d'autant plus important quand il s'agit des collections design, puisqu' on a vu l'héritage qui était celui du CCI. Comme la collection est assez importante, nous avons décidé de nous focaliser pour cette présentation seulement sur la scène française, pour qu'on puisse voir une petite portion de la collection qui nous permettra de comprendre peut-être un peu mieux comment s'articulent les axes d’un secteur de collection. Avant toute chose, quelques chiffres sur la collection Design, en général, pour comprendre un petit peu de quoi il s'agit. C'est une collection qui contient près de 6000 pièces, 8000 quand on intègre le fond d’affiches (graphisme) Perrottet, qui est entré récemment en collection, avec environ 600 auteurs ou designers. La scène française y occupe une place prépondérante. On peut noter aussi que la prospective industrielle occupe une place importante pour les raisons expliquées plus tôt, entre recherche scientifique, artisanat, fabrication numérique, et notamment grâce aux manifestations annuelles Mutations-Créations dont on parlera. Au sein de cette collection, nous avons trois typologies principales d’œuvres, qui sont des objets de design, des dessins et croquis, et du design graphique. La collection présente ainsi des éléments variés qui ne sont pas que des objets 3D, et qui vise à dépasser une simple lecture de l'objet, vers une logique de conception plus globale qui va intégrer les processus de création, puisqu'on a généralement également des dessins, des éléments processuels de conception, des prototypes qui intègrent la collection. Les aires les plus représentées sont la France, et l'Europe, notamment, surtout l'Italie qui est le deuxième fond le plus important après la France et par rapport au chiffre que vous pouvez pu voir sur la slide, relatifs aux dernières politiques d'acquisition. C'est depuis la création de la collection design que l’on s'est attaché à consolider les fonds d'œuvres modernes, qui sont des fonds très importants , qui la distinguent notamment des autres collections internationales, par leur rareté et leur dimension prototypale. 830 pièces sont entrées en collection avec 79 % de ses pièces qui provenait de designers européens et parmi ces designers européen 49 % étaient français. On a un total de 2026 œuvres graphiques, puisque c’est le fonds Perrottet, dont je parlais tout à l’heure.15 % sont des acquisitions et une part très importante de dons comme vous pouvez le voir avec 85 % de dons, près de 10 % datent du début des années 1960. C'est peut-être la période des années 1980 la moins bien représentée dans les acquisitions récentes, même si on s’est attaché à renforcer la présence du groupe Memphis en Italie. Les collections, ces 15 dernières années, se sont considérablement enrichies d'œuvres réalisées entre 2005 et 2015. Nous avons eu à cœur de consolider à la fois les fonds modernes mais aussi de développer les fonds contemporains liés à la prospective industrielle avec une arrivée très importante de primo-entrants, qui répond au dynamisme du design contemporain français. Quelques chiffres intéressants montrent que dans les collections seulement 12 % de designers femmes sont dans les collections. Nous avons tenté aussi de mettre en avant les achats d’œuvres de 24 designers femmes dont dix françaises, lesquelles sont entrées dans les collections et c'est un axe de développement très important aujourd'hui depuis environ 3 - 4 ans.
4.2 Modernité française
Sur la modernité comme je le disais la collection design du Centre Pompidou se démarque,. Une priorité a été donnée au renforcement moderne avec une représentation des recherches fondatrices de figures françaises, telles que : Mallet-Stevens, Charlotte Perriand, Pierre-Charron, Jean Prouvé avec des pièces clés, Pierre Jeanneret, Le Corbusier avec Charlotte Perriand, Louis Sognot, Francis Jourdain avec cet ensemble mobilier meuble à coulisses de 1927 qui avait été présenté dans l'exposition UAM en 2018 acheté en 2005 ; Djo Bourgeois qui était un architecte décorateur n'ayant pas appartenu à l’UAM, mais non moins une figure centrale de la modernité en France. René Herbst, Jean Burkhalter, GEO, avec ces pièces récemment acquises, Marcel Lods, Jacques le Chevalier, membre de la société de l’UAM, autour de ces lampes qui sont de véritables sculptures assez étonnantes, ou encore, Hélène Henry.
4.3 Les fonds
Au sein de cette collection, nous pouvons nous s'appuyer sur ce qu'on appelle des fonds exceptionnels notamment de Pierre Chareau, qui rassemblent plus de 40 œuvres et qui comprennent ce bureau pour Mallet-Stevens de 1927 ainsi que le lampadaire La Religieuse. Le fonds Charlotte Perriand avec ses œuvres emblématiques, séminal avec la Table en forme, la Bibliothèque de la Maison du Mexique, on a donc 54 œuvres, c'est un fonds très important.
Pour la période d’après-guerre, le fonds Jean Prouvé comporte 37 œuvres environ et des archives. Le fonds Serge Mouille, dans l’après-guerre, est assez exceptionnel avec 181 œuvres entrées en collection en 2010, et qui comprennent aussi bien ces luminaires en métal qu’un ensemble d'éléments de recherche en métaux, ses études de forme biomimétique qui se sont déployées à travers ces échantillons magnifiques que vous pouvez voir et à travers ses nombreux dessins, encres et croquis. On trouve ensuite Jean Royer pour la reconstruction, René Gabriel avec ce Fauteuil Caillebotis, qui est une acquisition récente puisque la reconstruction fait partie des axes de développement autour de la modernité pour la collection.
Comme je vous le disais, les femmes de la modernité ont aussi leur place : Hélène Henry (UAM), Adrienne Gorska (UAM), Charlotte Alix (UAM), Blanche Klotz (UAM), Janette Laverrière dans l’après-guerre, ont connu des acquisitions récentes.
La reconstruction avec René Gabriel est un manque dans les collections tout comme l'absence d'objets, on peut le noter sur une scène américaine certes, avec Raymond Loewy qui souligne les manquements d'une collection en streamline, Loewy étant né en France. Le mobilier pour enfant fait également partie de ces axes importants pour développer la collection moderne sous un angle nouveau.
4.4 Les années Pop
Les années 60 à travers l'esthétique pop sont une période internationale charnière où la scène française occupe une place majeure, notamment avec la personnalité de Pierre Paulin dont nous conservons un fonds de 222 œuvres entrées en 1992 et ensuite enrichies grâce à l'exposition de 2015 avec de nombreux dessins comme vous pouvez voir avec ces très beaux dessins d'environnement. Les fonds Olivier Mourgue et Pierre Guariche constituent une autre partie de la collection, et s’inscrivent dans cette esthétique pop art ; le fonds Quasar représente un ensemble d'une quinzaine de pièces pour les Gonflables, venus enrichir le fonds gonflable assez important de la collection. Danielle Quarante, Marc Berthier constituent l’une des pistes de veille engagées par un travail commun du service design avec le service architecture. Nous tentons par exemple de développer un fonds autour de Marc Berthier, avec toujours cette optique de développement de l’axe du mobilier pour enfant. Les années plastiques que vous pouvez voir avec la série Ozoo ou Twenty Tube, qui d'ailleurs font écho à Beaubourg puisque Berthier avait été présenté au CCI lors de l'inauguration en 1977 dans la galerie d'actualité. Le fonds Roger Tallon comprend plus de 50 œuvres pour la création industrielle des années 60, de même que plusieurs fonds de coloristes industriels, dont le fonds Jean-Philippe Lenclos, important dans le contexte de cette esthétique industrielle mentionnée tout à l'heure des années 60-70, avec 304 pièces comprenant également des pièces d'André Lemonnier, Cler, Fillacier Grillo.
4.5 Figures importantes des années 1980
Les années 80 sont également bien représentées dans la collection, à travers une décennie importante pour le design en France, qui a été marquée par la naissance du VIA (valorisation innovation dans l'ameublement) créé en France en 1979, et par l'émergence d'une nouvelle génération de designers français emblématiques d'une scène internationale qui se renouvelle et au sein de laquelle on trouve des figures marquantes comme Martin Szekely et Philippe Starck. Il y a une volonté de renouveler le langage du design qui se dégage dans les années 80 en France. Avec ce fonds de 37 œuvres de Szekely dont nous disposons en collections, on peut noter que nous avons l'ensemble de la célèbre gamme Pi, ou vous pouvez voir aussi bien le prototype de la Chaise longue que la Bibliothèque, qui a été conçue en 1982 grâce à une carte blanche du VIA. Le fonds n’a cessé d'être enrichi depuis, c'est à partir de là que l’on voit qu'une collection est finalement une sorte d’entité vivante, puisque ces œuvres sont d'abord entrées en collection dans les années 1990, et ce fonds n’a cessé d'être alimenté graduellement, s'échelonnant avec des acquisitions régulières jusqu'en 2011.
Le fonds Philippe Starck est représenté par 355 œuvres ce qui en fait le deuxième fonds monographique le plus important d’un designer, après celui de Sottsass, qui sont donc des acquisitions qui résultent de dons importants des éditeurs, des généreux dons du designer lui-même et qui ont été enrichis récemment par une exposition qui a eu lieu au Centre Pompidou Malaga en 2017. Vous voyez ici des objets de Starck qui représentent très bien sa vision du design démocratique dans les années 80, où il parlait du populaire comme élégant et du rare comme vulgaire, avec ses objets statements que l'on retrouve avec cette très belle collection de chaises.
Le fonds Jean-Paul Goude est un fonds particulier entré en 2016 avec une acquisition de 80 pièces, une œuvre majeure qui est celle du carnet de dessins du projet pour le bicentenaire de la Révolution française.
Les apports de Memphis s’incarnent avec les représentantes françaises de Memphis Martine Bedin et Nathalie du Pasquier avec cet ensemble exceptionnel de patterns qui est une acquisition récente, réalisés pendant la période Memphis avec Georges Sowden, représentant tous ces éléments de recherches décoratifs, qui ont caractérisés Memphis.
4.6 Contemporain
Les années 2000 sont donc des années témoins du design contemporain, avec au même titre que dans le sens de l'architecture et designers star, des objets design signature de nouvelles figures majeures qui émergent telles que Matali Crasset, Radi Designers, les frères Bouroullec. Pour les Bouroullec, on peut noter une acquisition récente cette année, des Rêveries urbaines, un travail que les Bouroullec avaient présenté aux Champs Libres de Rennes en 2015 à travers une exposition. L'ensemble de ce mobilier, de ces prototypes, de ces maquettes, de ces films, bandes sonores, sont entrés dans les collections et c'est véritablement une donation assez exceptionnelle qui revient sur ce développement du travail des Bouroullec autour de la question de l'urbanisme, à mi-chemin entre projets utopiques et fantasmes urbains visant à réintroduire dans l’environnement de la ville, dans l'espace public une dimension de l’ordre du merveilleux, proche de la nature. Tous ces exemples de recherches sont entrés dans les collections et eux aussi répondaient tout d'abord au format d'une exposition, puisque ce sont des pièces qui avaient été présentées aux Champs Libres sous le format d'une exposition, conçue par les Bouroullec. Nous les présenterons bientôt dans une exposition au Centre Pompidou-Metz.
La représentation de Patrick Jouin dans les collections est significative de l’arrivée du numérique dans le champ du design dans les années 90, avec François Brument également. Une jeune génération Graindorge, studio GGSV, interroge les processus de production industrielle dans des démarches expérimentales liées à l'environnement et à une nouvelle manière d'aborder le design industriel. Samuel Tomatis, avec ses nouvelles recherches industrielles autour de l'éco-design, des objets qui ont été construits à partir d'algues invasives récoltées en Bretagne dont on parlera tout à l'heure lorsque l'on regardera La Fabrique du vivant.
La prospective industrielle marque la collection Design du Centre Pompidou et les acquisitions récentes des dix dernières années vers ces nouveaux territoires sociologiques, technologiques. L’éco-design figure parmi les axes de développement majeurs, les nouveaux matériaux, les biomatériaux. De nombreux designers que vous connaissez très certainement s'intéressent à ces questions. C’est devenu un enjeu essentiel, présent particulièrement dans la nouvelle génération : Alexandre Echasseriau, Marlène Huissoud, Tomatis, Samy Rio, pour n’en citer que quelques-uns avec qui nous avons déjà collaboré, liste qui pourraient appeler à être largement élargie. Des recherches sur les nouveaux process sont par exemple menés par Samy Rio, dont vous voyez des petits exemples de son travail, un designer né en 1989 passé par l’ENSCI ; et sur les nouveaux process par Jules Levasseur, qui est récemment entré en collection grâce à notre groupe d’acquisition du Design par le biais de mécènes, qui travaille sur cette hybridation entre techniques industrielles et techniques artisanales à travers une pratique d'atelier, ce sont des pièces uniques. C'est une profonde réflexion sur la production industrielle qui s’opère, sur la production en série pour d'autres pièces qui sont effectivement réalisées en petite série et sur ces matériaux donc liés aux questions d’upcycling, évidemment puisque vous pouvez voir ici à droite des trames de câble qui ont été récupérés pour créer ce prototype de luminaire.
Il y a aussi un aspect très important qui est celui, au sein de cette évolution du paysage domestique contemporain, du design inclusif et de la question du care. Pour l'instant, ce ne sont pas forcément des acquisitions récentes qui ont eu lieu : Aurore Brard, un nom que nous avions vu mais dont le travail nous intéresse. Mathieu Lehanneur fut l’un des premiers designers à s’y intéresser. Ce sont des pièces qui sont en collection. On pourrait imaginer que le design inclusif, ce qui n'est pas seulement des nouvelles prothèses, mais qui véhicule toute une conception sociétale et globale à travers le design, lié à la fois aux nouvelles technologies, au médical, à la question du Care, pourrait largement être développé et aurait une place intéressante au sein des collections du Centre Pompidou, puisque c'est quelque chose qui est représenté dans les musées scandinaves et anglo-saxons, mais qui n'a pas vraiment de visibilité en France, avec peu d’intérêt dans les collections publiques, ni de politique d'achat. Comme je vous le disais, le design inclusif peut être intéressant dans la manière dont il réveille une réflexion autour des liens émotionnels et affectifs à l'objet. Et puis finalement il y aurait aussi quelque chose d'intéressant par rapport à la collection elle-même, puisqu’il y a toute une filiation à creuser et à explorer dans l'histoire du design. Si on revient jusqu’à Alvar Aalto et au sanatorium de Paimio, si on pense aux prothèses des Eames et à leurs travaux sur le bois cintré et moulé jusqu’aux pièces, que vous pouvez voir ici de Lehanneur et de ses objets thérapeutiques, c'est une dimension globale, comme Marie-Ange Brayer l’a écrit dans un entretien avec Antoine Fenoglio de l’agence Sismo, qui travaille sur ce sujet avec Cynthia Fleury. Comme vous pouvez le voir, quand on travaille sur des axes de développement de la collection, ce n'est pas seulement pour accumuler des objets dans des réserves, c'est aussi pour avoir la possibilité de mener des travaux de recherche, des travaux réflexifs, spéculatifs, théoriques sur des champs importants du design et de tenter de les théoriser, en rassemblant un corpus cohérent d’œuvres autour de certains sujets qui pourraient ensuite déboucher sur des expositions, des publications, au plus près de ces œuvres et de leurs créateurs.
5. Les expositions du département Design et prospective industrielle
5.1 Mutations / Créations
Nous arrivons maintenant à la partie dédiée aux expositions ; expositions qui ont eu lieu depuis 2017, comme je vous disais, sur lesquelles j'ai eu la chance de travailler donc je vais pouvoir vous en dire quelques mots. Mutations-Créations est une plate-forme d'exposition initiée en 2017 par le Centre Pompidou suite à l'arrivée d'un nouveau président, Serge Lasvignes, et d’un nouveau directeur, Bernard Blistène, qui avaient à cœur de créer une transversalité dans les domaines de recherche et de coopération entre les disciplines et les secteurs de recherche du musée, et au sein du Centre Pompidou en général. Frédéric Migayrou, directeur-adjoint de la Création industrielle, Frank Madlener, directeur de l’Ircam et Marie-Ange Brayer, en charge des collections design, ont réfléchi à la spécificité d’une programmation transdisciplinaire sur plusieurs années. Mutations-Créations est tourné vers la prospective, vers cette idée d'interaction avec les technologies numériques qui viennent bouleverser la création, qui viennent transformer, provoquer des mutations formelles dans tous les champs de la création. Cette exposition s'inscrit sur un territoire entre art, innovation, sciences, design, architecture, c'est une manifestation annuelle qui est venue associer différentes entités du Centre Pompidou : celle du Musée national d'art moderne avec le service design et le service architecture, mais aussi l’IRCAM qui est le centre de recherche en acoustique du Centre Pompidou et puis d'autres départements comme le département, comme celui du développement culturel, puisqu’à chaque édition de Mutations-Créations, un forum est organisé : le forum Vertigo, qui accompagne chacune de ces éditions annuelles, organisé par l’IRCAM et qui comprend des rencontres, des performances, des spectacles. Mutations-Créations vise à réactiver la transdisciplinarité propre au Centre Pompidou, à travers le Centre de création industrielle et en prenant en compte les questions sociétales du CCI, en les réactualisant à travers les enjeux d'aujourd'hui qui sont évidemment des enjeux technologiques et environnementaux, notamment en allant de la conception et la fabrication numérique, avec la première édition Imprimer le monde jusqu'à La Fabrique du vivant en 2019, liée à la bio-fabrication, au vivant ; ensuite Neurones en 2020, dernière édition en date de Mutations-Création mais qui n'a malheureusement été ouverte qu'un mois à cause de la pandémie. C'est une recherche qui s'accompagne de partenariats avec des universités, des départements et de laboratoires de recherche, des écoles d’art, d'architecture, de design, que ce soit au forum Vertigo ou en réflexion autour de la formalisation de ces expositions.
5.2 Imprimer le monde, Paris, 2017
Plongeons dans la première exposition de Mutations-Créations en 2017, Imprimer le monde, dont le commissariat était assuré par Marie-Ange Brayer, et à laquelle j’ai travaillé comme adjoint au commissaire, première version de ce nouveau format d'exposition que l'on pourrait qualifier de prototypale. Au sein du musée, nous avons voulu explorer une nouvelle typologie d'expositions qui permettrait d'interroger les hiérarchies qui s'établissent entre les différents critères d'identification des disciplines. Imprimer le monde est une exposition collective, qui a rassemblé aussi bien des artistes, des architectes, que des designers ainsi que des projets de laboratoires scientifiques. Leur point commun était d'être issu d'une jeune génération, pour la plupart moins de 40 ans et qui recourent aux mêmes outils de conception numérique, notamment liés, par l'impression 3D, et qui utilisent cet outil de l'impression 3D comme un outil d'expérimentation critique. A travers cette sélection d'une quarantaine de créateurs, Imprimer le monde interrogeait les mutations formelles contemporaines et la manière dont les rapports de production ont été bouleversés par l'arrivée de l'impression 3D et cette nouvelle matérialité digitale. Dans ces recherches, nous voulions témoigner de cette nouvelle typologie d'objets qui se décline à toutes les échelles dans une variété typologique très importante, donc de l'objet de design unique à l'objet de design en petite série comme expérimentation concrète, aux prototypes architecturaux des propositions artistiques plus spéculatives, jusqu'aux projets innovants de laboratoires scientifiques. Nous avons essayé de mettre tous ces objets en dialogue au cœur de la galerie 4 du Centre Pompidou et avons donné une place importante à la dimension expérimentale de ces pratiques contemporaines. L’impression 3D soulève beaucoup de questions liées à celles du statut de l'œuvre, d’une reconfiguration du monde de l'industrie, de la recherche scientifique et nous avons voulu montrer comment cette généralisation à l'ère du numérique a lieu dans tous les domaines de production. L'exposition s'articulait en quatre parties sur lesquelles nous allons revenir, avec une partie créée par l’IRCAM : une installation sonore immersive, et autour plutôt trois grandes thématiques à côté de cette installation de l’IRCAM. Ces trois grandes thématiques on va le voir se retrouvaient de manière assez fluide dans l'ensemble du parcours de l'exposition qui était pensé comme une déambulation à travers toute cette typologie d'objets dont on parlait. Imprimer le monde est une exposition prototypale, expérimentale dans son format : nous avons expérimenté en introduction l’idée d'une timeline qui permet d’accueillir le visiteur dans l’entrée avec des dates clés de notions que l’on retrouve dans l’exposition. Nous ne nous sommes pas contentés de simplement mettre ces dates, nous avons aussi voulu les documenter à travers différents films, documents, reproductions ou œuvres. Vous pouvez voir au début de cette timeline par exemple une sculpture de François Willème qui est issue du procédé de photosculpture qu'il invente en 1860 et que nous avons pris comme point de départ de cette technologie qu’est impression 3D pour voir comment cela remonte à quelque chose de beaucoup plus ancien dans un certain cadre de pensée. La photosculpture consiste en la combinaison d'un appareil photographique et d'un pantographe pour réaliser des premières captations de modèles tridimensionnels. À côté nous présentions sur un écran la machine de photosculpture inventée en 1926 par Claudius Givaudan et qui standardisé le procédé de Willème dont on présentait les archives filmiques de l’INA.
Au sein de cette timeline il y a des périodes très marquantes autour de l'impression 3D : par exemple, nous avons tissé autour de cette dernière les fils du cadre historique que cette technologie sous-tend, et il y a évidemment une part importante d’un moment précis qui est celui de l’histoire de la cybernétique qui préfigure et conceptualise à l'après-guerre la société de l'information, le monde en réseau ou plus tard l'arrivée du web. Il faut dire que la cybernétique, à chaque édition de Mutations-Créations, c'est un sujet, un moment historique qui est une occasion de s’y replonger, nous le verrons pour La Fabrique du vivant notamment. Une autre section très importante par rapport à l'impression 3D était celle dédié à la culture du DIY qui aboutit à la culture des hackers de l'Open Source du logiciel libre, mais aussi des makers et des fablabs, qui ont une dimension très importante liée l'impression 3D, c’est une culture qui trouve ses racines dans la contre-culture américaine des années 60. Aux États-Unis, nous présentions ainsi le Wallers catalogue que vous pouvez voir juste au milieu, qui était cette encyclopédie et ce recueil universel d’outils pour tout fabriquer soi-même publié entre 1968 et 1972 aux États-Unis. Cette idée de bricolage numérique est évidemment importante dans Imprimer le monde, avec également cette RepRap qui est la première imprimante 3D auto-réplicante. Ensuite se déroulaient les premiers brevets des années 1980 de l'impression 3D, l'arrivée dans les années 2000 de la technologie d'impression 3D dans le champ de l’opinion publique, avec par exemple le premier pistolet à imprimer en 3D aux États-Unis par un étudiant du Texas qui avait été ensuite acquis par une collection du VAM, et l’apparition dans les années 2000 d’une imprimante multi-matériaux de bio-impression, puisqu’aujourd’hui on peut imprimer énormément de choses.
L'exposition se déployait à travers trois thématiques complétées par une 4e section réalisée par l’IRCAM, il s'agissait donc de thématiques traversant différents espaces afin de proposer des échanges entre les disciplines qui soient fluides et qui répondent à différents types de dialogues. On pouvait par exemple retrouver des prototypes architecturaux d’une section à l’autre et des projets plus spéculatifs afin de comprendre comment tous ces projets pouvaient être liés, peu importe les disciplines. Une partie plus spécifique était consacrée au design, intitulée “design nouveaux process”, liée à l'apparition des nouveaux process de conception et fabrication pour les designers contemporains grâce à l'impression 3D. Vous pouvez ici voir une vue d'exposition où l'on avait à l'entrée de cette section les trois vases en céramique étaient isolés sur leur propre piédestal central, créés par Olivier van Herpt, designer néerlandais né en 1989, par une imprimante 3D d’argile qu'il a lui-même inventée. Ce sont donc des designers qui inventent eux même leurs outils, qui développent leurs propres logiciels pour créer un savoir au croisement de pratiques artisanales et qui vont simuler et transcender l'objet artisanal, mélangé aux hautes technologies. On peut voir ici que ces vases en céramique dialoguent avec des installations au sol dans l'espace, qui sont des installations à échelle architecturale comme le Butterfly de Joris Laarman. Il s’agissait de montrer comment les designers et les architectes recourent aux mêmes langages de programmation et aux mêmes logiciels numériques, pour concevoir aussi bien des objets que des structures complexes et innovantes. Je mentionnais Joris Laarman, vous pouvez voir ici la chaise Adaptation chair, que l'on avait présentée dans l'exposition et puis juste avant le Butterfly, imprimé en bronze. Quelques mots rapidement sur Joris Laarman : c’est un jeune designer industriel qui a repoussé les limites formelles de l’impression 3D, qui fait figure de pionnier dans l’utilisation des outils numériques dans le champ du design, ici nous en avons un exemple intéressant avec cette chaise. Celle-ci se lit de base en haut un peu comme une arborescence, c'est quelque chose de très présent dans le design contemporain où les pieds constituent une structure solide comme des amorces végétales qui viennent supporter ce réseau multicellulaire qui constitue aussi bien l’assise que le dos. Ce sont des formes qui sont véritablement conçues numériquement en étant inspirées de processus de croissance du vivant, où ces processus ne sont pas seulement imités, ils sont totalement reproduits dans l'environnement numérique puis matérialisés à travers l'impression 3D. C’est ce que l'on peut voir avec la table qui se trouve juste à gauche de Mathias Bengtsson, une commande pour l’exposition soutenue par les Amis du Design qui ont permis de créer cette pièce, de la faire reproduire pour qu’elle rentre ensuite dans les collections. C’est la première table en impression 3D de titanium, dont les formes organiques procèdent elles aussi d’une démarche biomimétique fusionnant avec le numérique, associé au processus évolutionnaire d’une plante spécifique que Bengtsson a étudiée. On voit aussi la Diamond Chair de Nendo, on a ce dispositif scénographique assez frontal, avec différents objets. Diamond Chair est cet objet blanc mettant en évidence le concept élastique solide, caractéristique d'une structure imprimée en 3D, traversée par la lumière, laquelle n’aurait pas pu être conçue sans cette technologie. Sur les structures évolutives liées au vivant, on peut voir sur la petite chaise à gauche ce même intérêt présent dans un courant important du design contemporain, avec ce prototype de chaise de Lilian van Daal pour ce fauteuil automobile en exploitant que de matériaux bois et polymère. Au bout de ce podium, vous pouvez voir la chaise de Dirk Vander Kooij, tout en blanc, qui est une série de chaise en pâte de plastique obtenue à partir de matériaux recyclés éditée en 2013 dont nous documentons le process à partir d'un film à côté. Nous avons eu aussi à cœur de présenter les objets de design dans leur process, puisque pour nombreux projets ils étaient accompagnés de films qui nous avaient été envoyés et choisis par les artistes, et qui permettaient de mettre en avant cette dimension processuelle de fabrication et les dimensions exploratoires des designers dans leurs méthodes nouvelles de fabrication. On pouvait ainsi voir comment ces chaises étaient produites et à partir de quel type de matériaux, idem pour cette chaise de Gilles Retsin, la Boxed chair créée avec Manuel Rendez Garcia dont vous pouvez voir le film à côté, qui présente la version numérique de l'objet sur un ordinateur, avant d’en présenter ses variations physiques avec la Chaise Panton, à partir de la structure des voxels, qui sont ces pixels en trois dimensions. La plupart de ces objets design sont ensuite entrés dans les collections du service design et prospective industrielle, permettant de développer cet axe de la prospective industrielle autour de nouveau médium que son impression 3D, bouleversant le champ du design.
La seconde thématique était celle des prototypes et nouvelles matérialités qui exploraient le champ de la robotique dans la démarche des architectes notamment. On peut ici voir le Butterfly, la structure en X, derrière un panneau des Bouroullec. Ici on avait des prototypes qui était présentés à même le sol qui structuraient le parcours de l'exposition et l'espace avec du béton imprimé en 3D à grande échelle, mais également avec les recherches de Gramazio Kohler, dont vous pouvez voir ses colonnes, les céramiques imprimées de l'architecte Jenny Sabin, chercheuse à la Cornell University aux États-Unis, qui sont des prototypages de parois à densité variable inspirées de la croissance osseuse et puis la masterpiece dans cette section, si je puis l'appeler ainsi, qui était Grotto II de Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger, qui pousse les expérimentations formelles a une très grande échelle comme vous pouvez le voir ici.
Cette installation de 2 m 50 à 3 m de haut est composée de plusieurs blocs de sable de silicium imprimés en 3D et qui ont été assemblés pendant le montage de l'exposition les uns sur les autres, pour créer cet environnement qui pousse à son extrême l'exubérance ornementale, et cette exubérance ornementale est le résultat de calcul à algorithmiques processés par ordinateur dans une dimension quasi infinie. Un film était présenté mais malheureusement on ne le voit pas sur cette slide, il permettrait aussi de se plonger dans l'univers virtuel de cet objet avant son existence.
Cette œuvre a été assez importante dans l'exposition, elle s'est vraiment construite à la manière des grottes de la Renaissance italienne, elle invoque différents univers, différentes sphères, qui hybrident les questions liées à la nature, à l'artifice, qui sont posées par les créateurs contemporains. Quand on se penche d’un petit peu plus de plus près sur le numérique, l’installation en elle-même fonctionnait un peu comme dans une dimension immersive qui permettait aux visiteurs de plonger dans cette idée de matérialité digitale, qui étaient véritablement le sujet de l'exposition.
La troisième et dernière section de l'exposition rassemblait des hybrides, que l’on a nommée “spéculation”, qui interroge aussi bien le statut de l'image que les frontières entre physique est virtuel, entre corps et numérique. On trouvait ainsi par exemple la sculpture de Jon Rafman que vous pouvez voir ici au premier plan, ou les trois masques de Neri Oxman qui introduisaient la dimension du transhumanisme, de l'intelligence artificielle couplée aux technologies de fabrication 3D, puisque, aujourd'hui, de nombreuses choses peuvent être imprimées, comme par exemple les cellules vivantes à travers la bio-impression. Cette notion de matérialité numérique et sa temporalité a été problématisée à travers différentes pièces, notamment cette pièce très intéressante de Morehshin Allahyari, Material speculation: c'est une clé USB qui est introduite dans cette miniature, qui se veut un peu comme une mémoire des sites détruits par Daech au Moyen-Orient, et puis on voit ici un ensemble de trois installations qui formaient le cœur de cette section autour des spéculations 3D. Au plafond, l'architecture avec une structure réalisée in situ par les étudiants de l'Université de Tokyo à partir d'un stylo d'impression 3D qui guide le geste et que ces étudiants ont inventé et développé, et qui leur a permis de tisser in situ, puisque c'était une commande pour l'exposition, cette structure architecturale pensée pour l'exposition un peu comme une structure de tenségrité, calculée directement dans l'espace. Au centre, une recherche spéculative de l’artiste américaine Heather Dewey-Hagborg accompagnée de son film qui présentait lui aussi la manière dont cette œuvre a été réalisée. Vous pouvez voir un ensemble de sept portraits-robots qui sont entrés ensuite dans les collections, qui sont des portraits-robots d'individus anonyme à New York reconstitués à partir d'empreintes laissées à leur insu par ces individus dans l'espace public, que l'artiste a collectées et qui lui a permis d’en extraire le génome pour en dresser le portrait-robot. Cela pose évidemment des questions éthiques, liées aux enquêtes de la police judiciaire qui utilise aujourd’hui ce type de technologie.
Nous avions enfin une petite section liée aux recherches industrielles, aux nouvelles matérialités, qui présentait des expérimentations de laboratoire sur la peau synthétique, sur les matériaux programmables. Vous voyez ci par exemple de l'impression 3D de nouveaux matériaux comme celui de l’Aérogel, qui est le matériau le plus léger au monde et des impressions 3D à échelle nano avec ces petites recherches du MIT Media Lab, qui permettent de créer des structures intelligentes et réactives, des surfaces interactives à partir d'impression 3D à l'échelle du cheveu ou du poil pour être plus précis.
6. La Fabrique du vivant, Paris 2019
La Fabrique du vivant, dont Marie-Ange Brayer et moi-même étions commissaires, est à nouveau une exposition collective d'une cinquantaine d'artistes, aussi bien des artistes, des designers, que des architectes, des travaux de recherche de laboratoires scientifiques. Nous sommes toujours sur ce format d'exposition qui nous permet d'explorer de manière prototypale un nouveau format comme dans le cadre de Mutations/Créations. Ici la question choisie est celle du vivant, de l'arrivée des biotechnologies et la question du vivant et son hybridation synthétique et technologique. Aujourd'hui, la problématique principale de La Fabrique du vivant était de se demander « qu'est-ce qui relève de la notion de vivant ou d'artificiel ?», puisque le vivant traverse aussi bien le champ de la matière que celui immatériel du numérique et à travers l'exposition, nous avons voulu montrer par des objets - puisque c'est au cœur de notre démarche de véritablement partir des œuvres- les états intermédiaires l'artificialité et de communiquer ce sentiment qu'on a eu en faisant nos recherches, puisqu’au départ, nous avions l'ambition de travailler sur les biotechnologies car la 3e édition de mutation création qui était portée sur le vivant.
Notre processus de recherche, a vraiment été d'explorer dans ce champ la fin de cette question du vivant, et tout ce qui se faisait dans le design dans l'art dans l'architecture et de voir ce qui se dégageait de ces pièces un peu fortes, pour en tisser les fils d'une problématique. Ce qui est apparu comme particulièrement prégnant par exemple parmi les problématiques de l'exposition autour des biotechnologies, c'est comment de nouveaux états intermédiaires, l'artificialité de la matière, font leur apparition entre l’inerte et l’animé et qui font en fait radicalement évoluer les notions du vivant. Chacune des pièces de l'exposition avait à cœur de montrer cela : comment cette notion de vivant évolue, comment les outils numériques de simulation font évoluer cette notion, et comment cela a un impact dans tous les champs de la création, car c'est une question sociétale véritablement englobante.
Il y avait une centaine d'œuvres exposées, elles aussi avec des échelles très vastes qui allaient pour ainsi dire du microbe à l'installation architecturale, dont certaines ont été conçues spécialement pour l'exposition. Nous avions un défi scénographique puisque certains étaient prises dans des processus de croissance ou de dégénérescence. Certains objets ou installations ont présenté des défis de monstration au sein d'une institution muséale, puisque le vivant n’a généralement pas trop sa place dans un musée, on peut aussi parler des sinistres : le vivant est une cause principale de sinistre pour les objets. Nous avons effectivement tendance à imperméabiliser tout risques et ici nous avons véritablement voulu amener le vivant dans cet espace, c'était une recherche particulière qui a supposé des dispositifs spécifiques de conservation des œuvres, de conservation de ces processus vivants, qui ont été maintenus en vie pendant le temps de l'exposition pour créer des œuvres véritablement évolutives. Nous avions également d’autres objets semi vivants comme on le verra dans le design, issus de processus vivants, interrompus, suspendus pour lesquels il est plus simple de les présenter. On retrouvait ce même procédé de la timeline en introduction autour de cette archéologie du vivant et de la vie artificielle dans la création scientifique artistique, en remontant aux premières observations microscopiques au cours du XVIe siècle, puis on voit comment, dans les années 80, la notion de vie artificielle, qui est une notion clé de l'exposition, fait son apparition. La timeline est aussi pour nous une occasion, quand on mène de front, aussi bien les recherches d'œuvres que ces recherches historiques, d'asseoir véritablement un cadre théorique pour l'exposition et de voir quels axes vont être développés ou non. Celle de la vie artificielle pour La Fabrique du vivant nous est apparue particulièrement intéressante, comme je lui disais tout à l'heure, car toutes ces questions soulevées par la cybernétique dans l'après-guerre, sont des choses qui font écho aux œuvres actuelles et prospectives, présentées dans l’exposition. Avec la cybernétique, dès les années 40 et 50 on constate une convergence entre le champ des mathématiques et de la biologie avec par exemple Alan Turing qui va relier la morphogenèse du vivant à l'ordinateur, John von Neumann qui va s'intéresser aux interactions des cellules dans le corps humain. Il s’agit là d’une pensée très importante dans le développement ultérieur de l'architecture et du design computationnel, où c’est véritablement la machine qui est pensée comme organisme, et l’organisme qui est pensé comme machine. Cette question du vivant comme système était posée dans l'exposition de manière critique par le dialogue des artistes et des architectes et designers. La biotechnologie suite au concept de vie artificielle fait son apparition dans les années 90, avec par exemple le bio-art dont on présentait des œuvres que vous pouvez voir à la fin de cette slide, qui était un des premiers mouvements artistiques intégrant les outils de la biotechnologie dans la pratique artistique. En menant cette recherche, cela a aussi était pour nous une manière d’aborder le sujet d'exposition, nous avons ainsi pu nous plonger sur les expositions ayant déjà eu lieu sur ce sujet ainsi que dans le courant du Biodesign, lequel était apparu dans les années 1990 et 2000. Nous avons aussi pu voir aussi comment les choses avaient évolué depuis que ce courant est apparu, et comment cette exposition La Fabrique du vivant pouvait témoigner d'une nouvelle génération ou de nouvelles questions beaucoup plus contemporaines sur ces cinq dernières années.
Cette exposition se décomposait à nouveau en quatre grandes thématiques : l’ingénierie de la nature, avec une première section qui portait sur le recours exponentiel dans le champ du design à la biofabrication, à de nouvelles technologies disruptives du vivant. Ainsi les biomatériaux sont utilisés, bio-polymères qui sont fabriqués à partir de la biomasse, c’est à dire qu'ils sont produits par des êtres vivants des végétaux, des algues, des mycéliums de champignon, des bactéries et qui permettent de créer ses objets durables et biodégradables. Ce sont des objets de design à la frontière entre semi vivant et artificiel, puisqu’ils vont intégrer le vivant à part entière, plus particulièrement dans le processus de fabrication d'objets. Ainsi vous pouvez voir la chaise bio imprimée en 3D du studio Klarenbeek & Dros à partir de mycélium de champignons, une commode de Marlène Huissoud, qui intègre des cocons de vers à soie recouvert de propolis noire, les recherches de Jonas Edvard, qui rassemble différentes typologies d'objets (chaise, textile) et puis celle que vous pouvez voir sous cloche qui continuait d'évoluer au cours de l'exposition par ce développement du mycélium de champignon avec cet objet qualifiable d’actif. On retrouve aussi le travail de Samuel Tomatis que j'ai évoqué tout à l'heure autour des algues invasives en Bretagne. Dans cette section sur le design on parle ici de matériaux de matière vivante, mais il s’agit d’un processus qui est stoppé, par exemple grâce à la chaleur, afin de stabiliser l’objet ainsi créé. Une fois stable, ce dernier peut ainsi entrer plus facilement dans la collection. Nous verrons cependant d’autres œuvres qualifiables d’instables, car c’est ce qui caractérise le vivant.
Enchaînons à présent sur la section modéliser le vivant, qui était la deuxième partie de l'exposition liée aux recherches en architecture, comment construire avec le vivant en allant plus loin qu'une simple recherche liée au greening. Nous avons remarqué dans nos recherches qu'aujourd'hui les architectes simulent des systèmes évolutifs de croissance du vivant, et cherchent à développer une architecture que l'on pourrait désormais qualifier non plus seulement de computationnelle mais de bio-computationnelle. Il est question de phénomènes naturels manipulés pour se proposer dans des ouvrages architecturaux pensés comme des interfaces intelligentes vivantes. Nous avons voulu restituer cette dimension dans l'exposition à travers des objets qui étaient eux même des interfaces vivantes. Nous avions donc ces micro-organismes, par exemple des cyanobactéries, qui étaient implantées sur cette structure que vous pouvez voir ici avec EcoLogicStudio, une agence d'architecture et de design, qui développe des protocoles urbains et qui s'appuie sur l'observation des écosystèmes vivants. C’est l'étude du comportement du vivant qui conduit à la conception de ces projets et ce sont des micro-organismes qui vont se donner comme médium architecturaux. C’est ce que nous avons essayé de restituer dans cette exposition, puisque l'installation était évidemment en interaction avec son environnement constitué d'une structure de blocs de plastique dans laquelle des microalgues sensibles photosynthétiques ont été introduites et alimentées par le CO2 que nous humains rejetions en circulant autour de l'œuvre.
D'autres exemples de recherche viennent de Londres comme ces œuvres de Marcos Cruz qui intègrent les micro-organismes dans le traitement des bétons, pour éventuellement penser un développement des mousses à même la surface des architectures et des infrastructures ; les architectes XTU pionniers des façades contenant des microalgues où le bâtiment se donne dans un nouveau type d'interaction avec son environnement externe.
Ensuite, une troisième section de l'exposition s’intitulait Nouvelles matérialités, où l’on commence peu à peu à se plonger dans cette question de la matière à travers des œuvres peut-être plus spéculatives. Les artistes proposent une matérialité vivante elle aussi synthétique : les œuvres de cette section interrogent la place de l'humain au sein de cette mutation profonde qui concerne le concept de la nature aujourd'hui. Ces œuvres introduisent la notion de nature artificielle, elles inaugurent aussi de nouveau rapport, de nouvelles écologies sociales et politiques. Au fond vous pouvez voir le laboratoire de Neri Oxman où elle crée ses prototypes de bio-façades destinées à la construction que nous avions présenté de cette manière-là, comme une sorte d'échantillonnage à l’échelle architecturale, telles des peaux suspendues.
Au-devant de cette installation, vous pouvez voir une autre installation, Skin Pool de l'artiste suisse Pamela Rosenkranz. C’est un bassin que l’on a rempli d'un liquide couleur incarnat, il s’agit de la couleur rose, très employée dans l'industrie cosmétique notamment, comme couleur de référence pour la peau. C’est une œuvre que nous avons fait entrer en collection juste avant l'exposition, c'est un processus auquel on a parfois recours pour ces expositions, qui peuvent présenter des coûts importants, c'est-à-dire d'acquérir des œuvres à l'avance pour les collections avant de les présenter. Ici, vous pouvez voir un dispositif à réactiver qui a été conçu et créé avec le studio en direct pour reconstituer ce liquide très précis qui interroge les transformations du corps humain, les transformations de métaboliques qui nous traversent telle cette peau, dans une dimension un peu chimique de cet environnement qui nous concerne aujourd'hui, lesquels sont traversés par un certain nombre de produits chimiques issus de la consommation industrielle. Nous avons donc pu recréer ce liquide en s'appuyant sur un protocole, et à chaque fois que la pièce sera présentée à nouveau, ce protocole sera réactivé.
Une installation vraiment fascinante que vous pouvez voir ici, était ce cube de Christina Agapakis. En entrant sous ce cube, cela nous permettait de sentir l’odeur d’une essence florale disparue depuis longtemps, reconstituée à l’aide d’outils d'ingénierie génétique.
Nous avions ensuite ces pièces de Tokujin Yoshioka qui faisaient partie de cette dimension autour de la nouvelle matérialité. Nous avons mis à sa disposition une section à part entière, au vu du caractère exceptionnel de ces pièces, réalisées par des processus naturels de cristallisation. Nous voulions vraiment recréer cet espace un peu méditatif dans la scénographie où l'on n'avait que quelques objets et cette chaise créée en 2008. Il s’agissait d’une série, fruit de ses recherches autour des cristaux et qui était une œuvre véritablement auto générative, puisque c’est un processus naturel de croissance de cristaux d'Alun qui est à l'origine de cette pièce. L’artiste n'est pas intervenu dans la fabrication de l'objet même, il a simplement créé une structure sur laquelle les cristaux se sont développés sans aucune directive. La seule chose qu’il ait faite, c'est éventuellement de diffuser des morceaux de Chopin nous a-t-il expliqué, lesquels auraient influencé la formation des cristaux.
Nous avions choisi de plonger entièrement dans l'obscurité la dernière section d'exposition intitulée Programmer le vivant, avec cette idée de plonger dans la matière même d'œuvres qui travaillent avec la matière vivante, avec des cellules, des bactéries. La plupart des œuvres qui étaient présentées étaient auto-génératives comme le vivant et amenées à évoluer au cours de l'exposition, comme par exemple, ces métaux dans des aquariums qui se dégradaient ; des entités semi-vivantes de Oron Catts, cellules vivantes injectées sur des biopolymères, qui ont été maintenues en vie pendant la durée d'exposition puis mises à mort à la fin de l'exposition pour poser des questions éthiques. Au fond se trouve l’œuvre de Spela Petric qui hybride des végétaux avec des hormones humaines pour parler de cette nouvelle monstruosité entre les espèces qui pourrait avoir lieu et qui pose donc la question de l'altérité, mais aussi des questions éthiques. Ensuite, dans le secteur du design vous pouvez voir ici au centre, ces trois petites pièces de Teresa van Dongen qui sont des lampes alimentées par des batteries de bactéries, qui produisent elles-mêmes de l’électricité. L’artiste voulait donner une dimension anthropomorphique à ces lampes créées pour l’occasion afin de questionner la symbiose entre humain et objet. Dans la collaboration avec l’IRCAM, se trouvait l’installation sonore appelée Biotope, implantée dans tout l'espace d'exposition et qui interagissait avec les déplacements du visiteur.
7.Bureau fantôme, Bruxelles, 2018-2019
Entre 2018 et 2019 l’institution Kanal Bruxelles s’est associée avec le Centre Pompidou. Nous avons eu la possibilité avec de nombreux départements du musée de proposer des projets de préfiguration qui se sont implantés dans les espaces laissés à l'abandon d’un ancien garage Citroën. Pour différentes sections de l'exposition, nous avons puisé dans les collections du MNAM-CCI différents objets, différentes thématiques et je vais vous en donner un seul exemple qui est l'accrochage que nous avons fait en 2019, intitulé qui s'appelait le Bureau fantôme. Nous avons choisi de réinvestir les espaces de bureau en récupérant leurs fonctionnalités. Il s’agissait d’une déambulation libre au sein d'un espace entre guillemets à l'abandon où nous avons essayé de reconstituer, d'imaginer les fonctions de chacun de ces bureaux pour créer des espaces imaginaires de travail venant se substituer au discours généralement utilitariste fonctionnel de l'objet de design. Nous avons donc décliné une douzaine d'espaces qui sont autant de scènes, comme vous pouvez le voir où l’on pouvait croiser de manière assez libre de nombreuses pièces de collection, qui sont des pièces iconiques de l'histoire du design. Dans le bureau du président, se trouvait par exemple le canapé harkis, la Vitrine Etat de Sottsass, ou les chapiteaux de ces groupes de design iconiques des années 60. Se trouvait également le bureau de la DRH, comme vous le voyez à droite, où l’on s’amusait à reconstituer tout un environnement fonctionnel comme si on était véritablement dans un bureau. Parmi les différents exemples se trouvaient le bureau du président, les bureaux de la DRH, le local syndical, la salle informatique, le bureau des radicalités où avait été imaginé un univers de bureau qui aurait été créé par les radicaux italiens et un bureau des interrogations. Vous pouvez voir sur les deux photographies en haut le bureau fantôme qui fait référence au titre de l’exposition. Vous voyez ensuite les prototypes, les squelettes de formes de pièces majeures de l'histoire du design industriel, comme par exemple cette structure de Paulin ou ces pièces de Mallet-Stevens en très mauvais état qui n'a pas pu être restaurée et qui généralement n’est pas montrée. Nous avons voulu créer une sorte de petit théâtre avec cette scénographie très frontale où les objets sont présentés comme des fantômes dans leur trace, au sein de cet environnement qui aurait été comme imaginé à l'abandon de ces bureaux abandonnés. Ces objets seraient comme des fantômes de cette histoire du design industriel où le jeu de lumière vient mettre en avant cette scénographie et cette idée que l'on se faisait dans notre nouvelle manière de présenter ses pièces. Dessous, nous nous sommes amusés à créer un environnement qui n'aurait été constitué que de pièces créant une sorte d'étrangeté, que l'on retrouve dans les travaux de Marcel Wanders dont nous parlerons plus tard dans Design et Merveilleux.
8. Discussion
[Olivier Zeitoun interrompt sa conférence pour répondre à quelques questions]
Cassandra Bonnafous
Excusez-moi, j’ai juste une question sur les dernières photos que vous avez montrées à Bruxelles. Est-ce que le fait que ce soit des periods rooms qui soient recréées, est-ce que c’est vraiment dans des boîtes, dans des box ou est-ce que c’est dans un bâtiment ? Comment est-ce que ce qu’elles sont agencées les unes par rapport aux autres et par rapport à l’ensemble du bâtiment en fait ?
Olivier Zeitoun
Alors en fait, l’ensemble du bâtiment, comme je vous le disais, est un ancien garage Citroën qui présentait différentes typologies d’environnement c’est-à-dire qu’il y avait une partie qui était vraiment un garage, il y avait une partie de réparation des voitures, une partie administrative dans laquelle on a implanté les bureaux fantômes. C’est vraiment un espace de bureaux banal des années 70 comme vous pouvez le voir, tout autour de ces pièces nous nous sommes implantés dans ces espaces comme « à l’abandon ». D’autres sections de collection avaient lieu dans les espaces de réparation et les thématiques étaient développées selon les fonctionnalités de ces espaces, mais pas toujours. Ce que vous pouvez voir c’est une scénographie que l’on a travaillée sur plan à partir des plans du bâtiment, mais sans que quoi que ce soit n’ait été ajouté au bâtiment. Cela a représenté un certain nombre de risques pour les pièces évidement puisque nous ne sommes pas dans un dispositif muséal qui permettrait une gestion des flux thermiques, de l’aération, etc. Nous avons vraiment travaillé à implanter ces œuvres dans l’espace tel quel.
Cassandra Bonnafous
D’accord merci.
Valentine Mathieu
J’avais une question aussi, parce que en fait j’ai eu l’occasion de faire un stage au Musée du Design de Bruxelles, et du coup j’ai fait les constats d’état des pièces là, je ne me souvenais plus, je sais qu’il y avait l’espace showroom en rouge et blanc et je sais plus si vous y aviez aussi exposé des œuvres.
Olivier Zeitoun
Oui, en fait cet accrochage a été fait, pardon, j’ai omis de le dire, en collaboration avec le Bruxelles Design Museum, l’ADAM qui contient le fonds du Plasticarium à travers toute l’histoire du design plastique. On ne le voit pas sur les vues de l’exposition, mais il y avait beaucoup de pièces en design plastique des années 60 qui nous venaient de l’ADAM et je n’ai pas mis effectivement cet autre espace appelé en Rouge et Blanc, créé dans la zone d’acheminement, dans la zone où arrivaient les voitures. En fait c’était un espace, qui avait, à l’époque dans les années 70, été coloré par les équipes Citroën entièrement en rouge et blanc. Il y avait donc un carrelage blanc au sol, des murs rouges et nous avons, à partir de ce prétexte, constitué une exposition à partir d’œuvres qui n’étaient qu’en rouge ou en blanc. C’était une manière d’avoir un regard ludique ou amusé sur l’histoire du design, puisque de tout façon la place de la couleur est tout un sujet en soit, celui du blanc comme celui du rouge. Cela a été l’occasion d’évoquer toute une époque à travers des œuvres qui se trouvent dans nos collections en plastique notamment à travers certaines pièces qui avaient été empruntées par l’ADAM. On avait donc cet environnement, où se côtoyaient aussi bien une voiture de Luigi Colani qui est un prototype de voiture qui fait partie de nos collections, que l’on présente très rarement parce que même si le Centre Pompidou est aujourd’hui un grand bâtiment, c’est aujourd’hui finalement un bâtiment assez restreint où n’avons plus la place d’exposer de telle œuvre parfois. En s’exportant à l’étranger dans des espaces comme celui-là, nous avons pu présenter une voiture de Luigi Colani, des recherches de Danielle Quarante, de Joe Colombo et faire côtoyer toute une époque.
Valentine Mathieu
C’est juste, du coup, excusez-moi, pour savoir si c’est vous qui avez pensé finalement toute la scénographie, où chaque pièce irait dans chaque bureau etc. ?
Olivier Zeitoun
Oui en fait, la plupart du temps les projets d’exposition s’organisent comme cela, soit nous proposons un sujet, soit comme c’était le cas pour Bruxelles, on nous a prévenus que cet espace était disponible à Bruxelles. Comme c’est un projet de préfiguration il n’a pas de cimaises, ce ne sera pas dans quelque chose de muséal. C’est ce qu’on nous a dit au service Design, et c’est au service Design avec Marie-Ange, avec d’autres attachés conservation comme Veronica Ortega à l’époque, que nous avons pensé tous ensemble quel type de proposition nous pouvions faire pour ce bâtiment. Et nous avons pensé que pour les bureaux, nous pourrions recréer des espaces de bureaux. A partir de là s’est déroulé tout le fil de cette narration de ces différents espaces : pourquoi pas un bureau du président, pourquoi pas un bureau de ces fonctionnalités, et nous avons a puisé dans les collections. Disons que c’est une approche différente, qui n’est peut-être pas scientifique mais c’était une manière d’explorer aussi, de dynamiter un petit peu la manière dont on peut exposer les collections en fonctionnant sur des principes irrationnels, sur des associations libres et sur cette idée de ressemblance au réel qui finalement pose une question intéressante pour ce qui est du design quand il s’agit d’objets fonctionnels. C’est donc vraiment au sein du service qu’on élabore ces propositions.
Valentine Mathieu
Ok, d’accord, merci.
[Olivier Zeitoun reprend le fil de sa conférence]
9. Design et merveilleux, Saint Etienne, 2019
Pour revenir sur une exposition plus muséale, mais qui elle aussi a eu lieu hors les murs. Nous sommes fréquemment amenés à faire des expositions hors les murs avec des collections, c’était le cas de Design et Merveilleux qui a été conçue par Marie-Ange Brayer et Martine Dancer au MAMC’+ de Saint Etienne en 2019. L’exposition a ensuite voyagé à Shanghai en novembre 2020 et vient de s’achever, et sur laquelle j’ai rejoint Marie-Ange sur ce projet pour la partie liée à la prospection de designers chinois. Ce sont des expositions faites à partir des collections et nous verrons comment elles s’inscrivent dans une dimension plus territoriale, qui est lié au lieu où se déroule l’exposition.
Pour la première version de l’exposition à Saint-Etienne, Marie-Ange Brayer a voulu poser la question de l’ornement dans sa dimension de métamorphose formelle à l’ère du numérique, recréation artificielle de formes naturelles grâce aux logiciels de programmation. Design et Merveilleux pose la question du « Merveilleux » dans cette résurgence de l’ornement dans le design contemporain numérique, c‘est à dire que Design et Merveilleux a tenté de créer, de retracer une histoire de l’ornement à travers de l’avènement du numérique qui a profondément modifié cette notion. La forme ornementale se libère et elle se donne dans une dimension, dont on parlait tout à l’heure dans Imprimer le monde, de transformation, de morphogénèse qui va puiser dans la dynamique des processus de croissance de la nature. Pour Marie-Ange Brayer, l’ornement n’est plus un simple motif, mais c’est une forme animée ; c’était cette notion qui était mise à l’épreuve dans cette exposition. La première section, « La Nature comme ornement », présentait ces pièces séminales de, par exemple Andrea Branzi dans les années 1980. Branzi est le premier, avec les Animali Domestici, à intégrer du matériau naturel dans l’objet même, dans sa structure mais aussi comme source de l’ornement, dans la dimension structurelle et ornementale de l’objet et c’est une rencontre qui a lieu entre les matériaux et le design industriel qui est emblématique du travail de Branzi. Ainsi cette première section, « La Nature comme ornement », posait cette question-là, d’œuvres qui ont d’intégré le matériau naturel comme la source de l’ornement avec par exemple cette pièce de Joseph Walsh, qui est dans nos collections, ou le design industriel, interrogé par ce banc de Benjamin Graindorge qui hybride nature et technique de production de design industriel.
La seconde section, qui était autour du « Fractal », posait la question de la nature et ses métamorphoses à travers la répétition infinie des motifs que sont ceux des fractals. On retrouvait une pièce d’Olivier Van Herpt réalisée avec l’impression 3D, cette installation de David Trubridge, les processus de minéralisation de formation rocheuse restitués sur ce panneau de Neri Oxman comme un véritable système ornemental, pensé comme une peau artificielle, d’autres œuvres de Ross Lovegrove. On entrait ensuite dans la section liée au numérique où dans les années 90 l’ornement se donne dans sa transformation liée à l’arrivée de la technologie numérique, avec des pièces séminales très importantes comme celle de Patrick Jouin, qui est un des premiers designers à imprimer un objet de mobilier en 3D en France, qui se déploie dans l’espace à la manière d’herbes hautes. Le fonds Ross Lovegrove, dont vous pouvez voir tous les œuvres, entrées dans les collections avant ou pendant l’exposition qui a eu lieu en 2017. La table de Mathias Bengtsson , les exosquelettes-prothèses de Neri Oxman qui font partie des collections, qui avaient été présentée en 2012 lors de Multiversités Créatives, une exposition importante de prospective industrielle au Centre Pompidou, réalisée par Valérie Guillaume, alors conservatrice en cheffe du service design. Vous voyez comment on peut réemployer des œuvres issues de nos collections à travers différents contextes, différents propos puisque ce sont des œuvres si importantes qu’elles peuvent porter évidement différents sens, différentes significations, différentes interprétations. Et à chacune des expositions que l’on crée c’est l’occasion de revenir sur ces pièces qui sont pour nous historiques.
Voilà les autres sections de l’exposition, « Arabesque », puisque ce sont des formes présentes les arabesques de la nature avec ce porte manteau de Mathieu Lehanneur qui avait été emprunté au musée de Saint-Etienne qui dialoguait avec le porte-manteau des Thonet, au fond vous pouvez voir une pièce de Wendell Castel qui fait aussi partie de nos collections, le fauteuil Voïdo de Ron Arad, les Bouclettes de François Azambourg.
La dernière section de l’exposition portait sur le merveilleux à part entière avec Marcel Wanders, croisée avec les recherches historiques du designer qui se trouvent dans nos collections comme la Knotted Chair et qui côtoie d’autres pièces comme la Bon Bon Chair avec la résine époxy, ces œuvres plus récentes, narratives, filmiques. Ce sont des films sur cette idée de design narratif à l’origine de mondes en soit d’une théâtralité des objets avec ses films intitulés Virtual Interiors qui présentent une sorte d’inquiétante étrangeté. Marie-Ange Brayer a voulu travailler avec les ressources de la ville de St Etienne, son passé artisanal tourné vers la fabrication de tissus et de rubans pour la haute-couture au début du siècle. Martine Dancer, conservatrice au musée de St Etienne, a ainsi sélectionné des tissus, des rubans, des ouvrages, qui reliaient ces recherches ornementales au reste de l’exposition. Au centre de l’exposition, vous pouvez ainsi voir des textiles stéphanois qui venaient du musée de l’industrie où l’on présentait, en dialogue avec le design contemporain prospectif des échantillons de tissus faisant échos à cette période historique du territoire de Saint-Etienne où le textile occupait une place industrielle très importante. Au centre de l’exposition, se trouvait un cabinet de curiosités où à nouveau nous avons eu à cœur d’exposer le design avec d’autres éléments typologiques, avec des éléments issus de la nature, des photographies qui viennent dialoguer avec, par exemple les chaussures de Francis Bitonti, imprimées en 3D, les Molecule Shoes, qui dialoguent avec des objets issus de la nature. C’était un cabinet de curiosités qui, dans le dispositif scénographique, était au centre de l’exposition et fonctionnait comme une manière de mener une réflexion sur ce qui serait peut-être ces sources d’inspiration pour les designers contemporains.
10. Faire voyager une exposition, Design and the Wondrous, Shanghai
Cette exposition a ensuite été adaptée à l’automne 2020 pour qu’elle voyage en Chine, au sein du West Bund Project qui est une nouvelle antenne du Centre Pompidou qui a ouvert il y a un an à Shanghai. A l’occasion de la première année d’ouverture de cette antenne du Centre Pompidou, le directeur du musée, Bernard Blistène, nous a proposé d’emmener les collections de design à Shanghai dans le contexte du West Bund. Marie-Ange Brayer a souhaité intégrer, à l’exposition qu’elle avait conçue à Saint-Etienne une sélection de designers chinois qui ne sont pas encore présents en collection, afin de l’adapter à une nouvelle destination et à un nouveau public qui était celui donc de Shanghai. Cela a été l’occasion d’explorer la dimension territoriale liée à un contexte national et à une scène qui est celle du design en Chine.
Nous avons donc repris le travail qui a été fait pour Design et Merveilleux et nous avons fait figurer des œuvres de design et d’artiste chinois à travers une collection resserrée qui a été intégrée dans le parcours de l’exposition. J’ai effectué à ce titre une mission à Shanghai pour rencontrer certains de ces designers et en proposer une sélection. L’exposition prenait ainsi la forme d’un dialogue entre les collections du Centre et cette sélection de designers et artistes chinois. Une journée d’étude a eu lieu, évidement à distance en décembre, organisée par le Consulat général français dans le cadre du week-end du design à Shanghai pour lequel deux tables rondes ont été animée par Aric Chen et, Marie-Ange Brayer et moi-même pour mener des rencontres entre designers chinois exposés et français ou internationaux présents dans l’exposition. Vous pouvez donc voir quelques vues d’exposition où on voit à la fois Graindorge et Wolsh dialoguer avec Chen Min ou le Studio SOZEN. Nous avons remarqué des points de convergence entre certains designers, par exemple les designers numériques, sur ce piédestal vous voyez trois pièces de ce designer chinois qui recoupent les questions liées au numérique et à l’ornement dont on parlait tout à l’heure. Cela aussi a été l’occasion d’explorer une scène qui n’est pas du tout présente dans nos collections qui celle de la scène contemporaine chinoise, et d’explorer éventuellement des questions relatives à cette scène. Nous avons remarqué qu’il y avait une volonté de renouvellement et de modernisation assez profonde de techniques traditionnelles issues de l’héritages chinois, qui avaient places dans la première section, « La Nature comme ornement », avec par exemple cette pièce de Shao Fan. Toutes ces pièces étaient présentées dans « La Nature comme ornement » et venaient dialoguer avec des pièces de Graindorge ou de Branzi issues de nos collections. Chen Min avec ce tabouret convoque aussi bien l’histoire culturelle chinoise qu’occidentale, avec la réappropriation du bambou. Shao Fan propose une chaise de la dynastie Ming scindée en deux. Cela fait partie de série de mobilier Ming qu’il transperce de structures contemporaines comme pour commenter les changements sociaux radicaux et politiques qui secouent actuellement la Chine contemporaine. La chaise de MAD ARCHITECTS elle aussi témoigne d’une hybridation entre des techniques traditionnelles de bois de la culture chinoise et le travail sur le numérique.
On trouve d’autres courants du design chinois Philip Yuan, Zhang Zhoujie ou Zhipeng Tan qui travaillent avec des techniques impression 3D autour de cette question d’ornement comme pour révéler une dimension merveilleuse évidement. Zhang Zhoujie est éclairant puisqu’il utilise l’intelligence artificielle pour auto-générer des séries de chaises qui sont donc issues d’une même famille comme une espèce vivante, mais avec des variations infinies de formes puisque chacune d’entre elles est une pièce unique. Voilà d’autres éléments, Lin Fanglu, d’autres pièces qui dialoguaient comme celles de Yang Mingjie.
Cette exposition a vraiment présenté un défi puisqu’elle avait lieu à Shanghai, nous n’avons pas pu nous rendre à Shanghai évidement à cause du Covid, donc nous avons élaboré, on pourra en parler tout à l’heure, sur un certain nombre de méthodes de travail à distance avec Shanghai et monté cette exposition qui a ouverte en novembre. Heureusement j’avais pu me rendre à Shanghai il y a un an, en octobre 2018, nous avions justement programmé pour faire cette exposition et j’y étais donc allé pour rencontrer ces designers chinois, pour commencer à discuter avec eux de certaines productions puisque certaines œuvres ont été produites ou pour discuter avec eux des pièces et de leur rapport à cette exposition. Après il a été impossible pour nous de nous y rendre à nouveau donc nous avons élaboré en amont avec les équipes du Centre comme avec celles du West Bund, un travail d’accrochage pendant deux semaines par Zoom à partir de dossiers techniques très précis, à partir de communications journalières avec les équipes West Bund. Et je dirais, qu’heureusement, avec des objets tridimensionnels nous avons pu travailler sur une scénographie, aussi avec notre scénographe, très précise puisque comme vous l’avez compris il y a eu une scénographie à Saint-Etienne. Pour Shanghai, une nouvelle a été créee avec une scénographe en interne du Centre Pompidou, qui a proposé une scénographie très différente tout en courbes et contre courbes. Avec elle, nous avons travaillé sur une implantation très précise, avec des vue 3D, des visualisations d’espace pour avoir cette implantation très précise. En fait au moment des montages d’exposition, on se rend compte de certains dialogues entre les œuvres, on les a évidemment pensés auparavant mais c’est une manière théorique. C’est aussi quand on les voit de manière empirique, quand on sent les œuvres d’art et qu’on voit si ces dialogues fonctionnent ou pas. Le moment du montage est donc toujours un moment très important qui suscite un certain nombre d’ajustements et nous avons été obligés de faire cela à distance et avec chance peut-être peu d’ajustements ont été faits. Il nous a semblé qu’avec les Zoom, les vues d’exposition et la réception que l’on a pu avoir, que certaines associations fonctionnaient correctement et que la déambulation fonctionnait très bien au sein de cette proposition. Toujours au centre de l’exposition un cabinet de curiosité avec des photographies naturalistes des année 20 de Renger-Patzsch, que l’on va retrouver dans une autre exposition, qui se situe à Metz et dont je vous parlerai un peu plus. Le Studio Klarenbeek & Dros a imprimé en 3D des biopolymères, réalisés à partir d’algues invasives elles aussi. Ces petits objets se présentaient dans le cabinet de curiosité en côtoyant ces photos naturalistes ou ces sources d’inspiration issues de la nature.
11. FUTURISSIMO, l’utopie du design italien, 1930-2000, Toulon
Avant dernière exposition que je vous présente, FUTURISSIMO, qui devrait ouvrir en juin à Toulon. C’est une nouvelle série d’expositions qui est organisée sous l’impulsion de la Métropole de Toulon, en collaboration avec la Villa Noailles qui a commencé en 2019 et, ce qui a été pour nous une nouvelle opportunité, toujours à partir des collections, d’explorer de nouvelles manières de présenter nos collections avec un scénographe invité à chaque édition proposée par la Villa Noailles. Cette rencontre a permis de développer de nouveaux dispositifs de présentation de nos collections. En 2019, M-A Brayer avait proposé une exposition qui s’appelait Nouvelle Vague, scénographiée par India Mahdavi. Et cette année en juin 2021, Marie-Ange Brayer a proposé FUTURISSIMO, l’utopie du design italien, dont j’étais commissaire associé, afin d’exploiter le fonds considérable de design italien en collection. Cette exposition a été réalisée avec le designer Jean-Baptiste Fastrez. Il a construit une scénographie théâtrale au sein de cet ancien bâtiment qui se présente un peu comme un ancien hôtel particulier, puisqu’on est dans un environnement avec de petites salles, de petites pièces. Nous avons dû imaginer un projet en fonction de cela et imaginé de micro-environnements domestiques un peu narratifs. Je dirais que d’une certaine manière, c’est dans la même veine que ce qu’on avait commencé à explorer en 2018 grâce à Bruxelles où on investit un lieu qui ne se prête pas forcément, qui présente un défi dans la présentation et l’exposition du design et se fait en collaboration avec, comme je vous le disais, un scénographe designer invité. Rapidement l’axe a été donné sur le design italien, c’est le deuxième plus grand fonds du service Design.
La singularité du design italien s’est constituée dans une culture architecturale issue des avant-gardes modernes, c’est pour ça que l’on commence par une première pièce autour du Rationalisme. Le design italien est entre expérimentations et radicalisme. Il dépasse les limites entre artisanat et industrie, et c’est ce que nous avons eu à cœur de tisser tout au long de l’exposition. Avec cette salle liée au Rationalisme qui apparaît dans les années 1920 et 1930 dans le nord de l’Italie, on retrouve des figures tutélaires que sont Levi-Montalcini, puis à l’après-guerre B.B.P.R avec ce projet très fortement ancré à gauche d’un projet de société de transformation du quotidien. En vis-à-vis la seconde salle est le « Design Organique », qui est cette réponse au Rationalisme peut-être dans l’immédiat d’après-guerre avec des travaux des croquis d’architecte comme Portoghesi par exemple ou le designer Carlo Mollino. On trouve aussi des associations plus libres qui sont celles de la généalogie de l’assise. Ce que vous pouvez voir est à l’envers. Il y a donc l’entrée en haut, les deux salles en vis-à-vis dont je vous parlais, « Design Organique » en rouge à gauche, « Rationalisme » en vert à droite, comme introduction. Puis au cœur du couloir central, cette généalogie de l’assise décline, à nouveau de manière un peu libre, la forme archétypale de la chaise dans l’histoire du design italien et ouvre sur la singularité de design italien et de ces grandes figures. C’est ici l’occasion de présenter Gae Aulenti, Colombo, Borsani, Pesce à travers leurs signatures. On le voit sur la vue d’exposition, l’idée qu’a proposée Jean-Baptiste Fastrez était celle de reprendre l’idée de grille puisqu’il y a une salle dédiée aux radicaux, à Superstudio. C’est une chose qui a beaucoup marqué la pratique de Fastrez et qui l’intéresse tout particulièrement, comme la salle Sottsass. Il a donc eu à cœur de recréer des environnements domestiques, des éléments domestiques dans chacune des pièces, parfois des images de lits, de commodes sur lesquels s’implantent nos objets. Mais il a aussi eu à cœur de créer ce dispositif, par exemple pour ces assises, qui reprend l’idée de crise comme une sorte de pente au centre de cette travée et qui permettra de construire le propos des assise mise en rang d’oignons sur cette pente.
Vient ensuite une salle sur Ettore Sottsass et plus précisément sur la période des années 1960 et 1970 liée à ses voyages en Inde, et à une dimension disons plus mystique, voire magique, du design avec ces affiches d’expositions, ces céramiques qui ont occupé une place très importante dans l’affirmation de sa pratique à la fin des années 60. Une salle, un peu de la même manière que l’assise mais cette fois ci dans une salle à part entière liée à un autre objet emblématique du design industriel italien, celui du luminaire avec cette mise en scène à nouveau frontale. Ici, l’innervation de Fastrez a lieu sous la forme de ce lit qui n’est pas totalement un lit, mais un dispositif scénographique autour duquel viennent s’articuler les objets de design.
On monte en suite à l’étage avec des salles dédiées à Bruno Munari et au design Radical italien. Bruno Munari est peut-être le grand designer italien qui incarne le mieux la figure de l’artiste protéiforme, c’est pour cela qu’on a ici ce petit accrochage de pièces emblématiques qui ont été réalisée avec l’éditeur Danese, ses sculptures de voyage, ses objets à fonction esthétique qui peuvent être emportés partout, nomades, légères. Ces objets cinétiques comme la Girondella ou la Sfera Doppia ont été inspirés par l’œuvre de Marcel Duchamp, ou encore les Fourchettes parlantes qui sont des hommages à la culture italienne et au vernaculaire, toutes ces pièces essentielles qui font, à nouveau partie, de nos collections. Elles côtoieraient dans la même pièce mais de manière séparée un ensemble de pièces dédiés au Radical, qui teinte cette salle autour du radical design avec Super Studio. Vous pourrez voir une affiche qui sera reproduite en grand format accompagnée de la lampe Pyramide, liée à ce vent de contestation politique qui bouleverse les pratiques architecturales et artistiques des années 60 qui fantasment un modèle d’urbanisation totale où la grille recouvre le territoire jusque dans le mobilier. On la voit apparaître dans la chaise de Super Studio et dans les appareils de mesure avec Cubic frame et Matoni. La ville devient un terrain d’expérimentation avec le travail d’Ugo La Pietra dont on présentera ses photomontages et le film « La riappropriazione della città » qui fait partie de nos collections. Toujours au sein du design Radical, une veine peut-être plus liée à un design pauvre entre guillemets, avec le travail de Riccardo Dalisi avec les enfants dans la banlieue de Naples au début des années 70.
Le siège-trône en bas à droite se joue des rebus de la société industrielle pour révéler une dimension artisanale, vernaculaire. Les Radicaux s’engagent dans le design critique et publient régulièrement dans Casabella et Domus. Il y aura un appareil critique avec des reproductions et des originaux de Casabella et Domus pour montrer combien le design italien est lui aussi intrinsèquement lié à cette scène critique consituée par les designers eux-mêmes. Vient ensuite une salle en miroir du design Radical puisqu’on est plus ou moins sur la même période du design industriel qui interroge cette signature à l’après-guerre. Le design industriel va faire le design d’une nouvelle société de consommation issue du miracle économique qui suppose un nouveau rapport au travail qui a porté l’environnement bureautique, et qui a porté certaines firmes comme Olivetti et certains designers comme Colombo, Sottsass, Enzo Mari que vous pouvez voir ici. C’est le moment où le Made In Italie triomphe dans le monde entier avec ces affiches d’Olivetti qui sont autant d’appareils sémantiques, d’outils de communication du design qui seront empruntés à la Bibliothèque Kandinsky, qui fait patrie du Centre Pompidou et avec qui nous travaillons étroitement pour documenter parfois les objets ou pour les enrichir de fonds présents dans leurs collections, puisqu’ils ont des choses également très importantes. On a un dispositif scénographique intéressant au centre, comme vous pouvez voir :des machines à écrire seront présentées un peu comme si on était dans une salle de bureautique. La collection regorge de ces machines de Nizzoli, Bellini ou encore de Sottsass avec la Valentine.
Les arts de la table sont représentés dans la travées centrale avec à nouveau un dispositif scénographique sous la forme d’une table où l’on dispose des pièces emblématiques et notamment des cafetières puisque nous sommes en Italie, pour faire un petit raccourci un peu rapide et gratuit. Les dernières salles de cette exposition, des Radicaux au style Memphis, procèdent d’une forme d’association plus libre en arrivant dans des territoires nouveaux ou avec des dispositifs nouveaux, différents. On a eu l’idée de faire une salle Memphis où nous souhaitions remonter d’une certaine manière aux racines de Memphis qui pourraient être celles du design Radical qui présentait en fait, dès les années 60, une très forte interrogation quant à la culture du peuple, quant à l’arrivée du peuple et à sa dimension subversive. A nouveau on retrouve le canapé Safari qu’on avait montré à Bruxelles. Donc la critique du bon goût, du kitch qui étaient présent chez les Radicaux, c’est quelque chose que l’on va retrouver aussi bien chez Alchimia avec le canapé Kandissi qui est dans nos collections évidement et que l’on retrouve aussi dans Memphis tout entier. Il y a donc toute cette lignée que l’on a voulu explorer dans une lignée des Radiaux au Memphis, où vont se retrouver des créateurs et des acquissions récentes, comme je le disais tout à l’heure, cet ensemble de 17 dessins de Nathalie Du Pasquier donné par l’artiste grâce au soutien de notre groupe d’acquisition. L’avant dernière salle s’appelle « Ville Post Moderne », elle est pensée comme la chambre du jeune homme, un peu rêveur, où nous avons eu l’envie de présenter des pièces d’Aldo Rossi. Au même moment où Memphis bouleverse la scène du design, Aldo Rossi et le Post Modernisme bouleversent le langage de l’architecture. Dans le travail plus spécifique d’Aldo Rossi il y a cette dimension nostalgique du tissu urbain qui est exploré dans la déambulation, à travers ses dessins, à travers le petit théâtre scientifique qui est cette pièce sublime dans nos collections et qui renvoie à cette architecture comme mise en scène, dans une dimension théâtrale d’une profondeur de champs du bâti existant et du bâti futur. Nous avons aussi eu l’idée de présenter, cette pièce de Franco Raggi, la lampe La Classica qui n’est pas à proprement parler Post-moderne mais qui peut s’avérer au sein de ce courant du design Radical en 1976, comme annonciatrice du Post Modernisme, puisqu’on a cette tente qui avait été créé par Franco Raggi lors d’un des happenings du groupe Global Tools. Il avait construit cette sorte de proto-architecture à partir de branchages, ce temple dorique qui était une relecture du langage de l’architecture et ensuite avec humour, l’a décliné sous la forme d’un objet, La Classica, et qui se trouve aujourd’hui dans les collections, à travers cette idée de changement d’échelle du happening jusqu’à l’objet.
La dernière salle est un « hommage », à Andrea Branzi avec cette pièce de 2009, Grande Iegno qui trônera au centre de la salle. C’est un architecte, critique, designer, figure majeure de la scène italienne qui a traversé toute la seconde partie du XXe siècle. Il débute aux côtés des radicaux dont les pièces récentes sont entrées récemment en collection procèdent de cette architecture en bois qui croise des images historiques, des grillages, des objets vernaculaires issus du quotidien qui vont puiser dans un répertoire idéologique syncrétique d’images historiques de tous les continents, de toutes les « cultures », dans une dimension qui serait propre peut être à la fonction animiste, chamanique. On parlait tout à l’heure du lien émotionnel aux objets, à mi-chemin entre architecture et design avec cette possibilité, comme je le disais de recréer des liens avec l’objet qui serait nouveau ou en tout cas de les réactiver.
12. L’exposition : un lieu de recherche constante : Mimésis, un Design Vivant, Centre Pompidou Metz, 2022
Dernier exemple en date, une exposition qui devrait ouvrir en en novembre 2021 jusqu’en mars 2022, on l’espère qu’on l’ouvrira, et cette fois c’est le Centre Pompidou Metz qui nous a proposé de faire une exposition. Au départ elle était programmée en juin et puis finalement à cause du Covid, elle a été décalée en novembre puisque le Centre Pompidou Metz n’a toujours pas réouvert donc actuellement, au sein des musée les programmations étaient différées, décalées. Nous avons eu très peu de temps pour travailler sur cette exposition intitulée Mimèsis, mais heureusement nous avions des pistes de recherche qui sont le résultat des expositions sur lesquelles nous avions déjà travaillé. C’est pour cela que je vous disais que l’exposition était le lieu d’une exploration d’une recherche constante à travers Design et Merveilleux, à travers la Fabrique du Vivant. À travers ces variations d’expositions autour de la nature, nous avons pu explorer ce sujet-là et quand on nous a proposé de faire une exposition au Centre Pompidou Metz dans une très grande galerie, nous nous sommes demandé comment travailler à partir de ce substrat et totalement le renouveler. Nous nous sommes dit que nous pouvions explorer la notion de nature à travers toute l’histoire du design au XXe et remonter à la modernité des années 20 et voir dès le design organique de cette période ; il y a la question centrale de la nature, du vivant et qui se déploiera dans le design jusqu’aux œuvres les plus prospectives qui avaient été présentée dans La Fabrique du vivant et qui sont entrées ensuite en collection.
On commence par le cabinet de curiosités. Je ne vais pas aller dans chacun des sujets ce serait beaucoup mais il y a donc la Modernité en France, Alvar Alto, le design scandinave, Charlotte Perriand, le Japon où on déploie ce fil historique jusqu’au années Pop, puis Mosso, puis les Bouroullec et le basculement dans le numérique puis dans la bio-fabrication et le bio-design.
On reprend le modèle du cabinet de curiosité mais cette fois-ci on l’explore d’une nouvelle manière, avec à nouveau des photographies issues du cinéma scientifique dont Painlevé est l’un des fondateurs dans les années 1920 et 1930 en France qui sont rentrés dans les collections Films. On va donc puiser dans d’autres départements. Il y a ces photographies de Man Ray et Renger-Patzsch qui sont toutes ces formes biomorphiques, ces formes de la nature qui vont inspirer l’objet de design pris comme processus au-delà du biomorphisme. Nous présentons aussi, dans ce cabinet de curiosité, des petits objets issus de notre collection qui interagissent avec les photos et qui sont présentés comme des rébus, avec cette idée d’avoir comme des charades au début de l’exposition qui va nous donner des pistes de réflexion, des indices sur ce sur quoi va se tenir l’exposition par la suite. On a donc par exemple ces petits assemblages de Serge Mouille qui sont elles aussi directement inspirées de l’observation de la nature. Ce vase de Marcel Wanders a été réalisé à partir d’une éponge ensuite plongée dans de la céramique cuite au four et qui fait disparaître l’objet naturel ne laissant que cette surface. Les objets algorithmiques de Driessens/Verstappen ou encore un objet vivant, entre guillemets, mais totalement mécanique de Tim Van Croimvort puisque c’est un corail synthétique dont la couleur change selon les variations de température de son environnement présenté aussi dans la Fabrique du Vivant et qui pourrait aussi fonctionner comme petit objet symbolique au début de l’exposition.
Aux côtés de Panspermia de Karl Sims, un film issu des collections Nouveaux Médias où l’on voit dans les années 90 l’émergence du concept de vie artificielle ou encore ce petit robot dont on a fait l’acquisition à la suite de la Fabrique du Vivant, développé à l’Université d’Harvard et qui est une machine hybride entre vivant et synthétique. Ce sont des cellules génétiquement modifiées été extraites d’une raie et implantées dans un robot. Ce robot nage dans l’eau à la manière d’un être vivant. On fait appel à ces objets au départ, avant de plonger dans un appel plus historique. Cela a commencé avec la Modernité en France où l’on voit que les formes de la nature, où l’organisme vivant était déjà pensé dès la Modernité, mais cela a moins été mis en avant. Alvar Aalto avec les scandinaves, est peut-être la figure majeure du design organique avec ses recherches sur le bois courbé, le lamellé courbé. On présenterait à la fois des objets et un film, des échantillons de recherche comme vous pouvez le voir par exemple Les Fleurs, qui sont ses échantillons de recherches de reliefs de bois courbé que Aalto menait avec Aino Aalto. C’est effectivement Alvar et Aino Aalto qui ont conçu ces éléments et qui ont mené un véritable laboratoire de recherche aux côtés de Leonardo Mosso dans les années 30 et 40. Le design scandinave aux côtés d’Aalto, avec la chaise longue Dolphin par exemple. Puis à nouveau la France les années 40-50 avec Charlotte Perriand dont on croiserait les pièces, comme la Table en forme et la Chaise Ombre, avec ses images et photographies qu’elle a en fait très peu montrées de son vivant, mais qui ont été essentielles dans sa démarche. Les photographies de Perriand ont été pour elle comme un laboratoire secret de ses recherches plastiques de ce qu’elle nomme une machine à penser, à créer, jusqu’à son départ pour le Japon. Elles vont être directement en lien avec des pièces qu’elle a réalisées et vont dialoguer avec des pièces du Japon. Puisque vous le savez Charlotte Perriand s’est ensuite rendue au Japon, et on voit la manière dont, dans ce design aussi, la nature interroge les Modernes de leur temps.
On arrive ensuite, plus ou moins aux années 40 aux Etats-Unis, où le design organique d’Aalto trouve une audience particulière à travers des innovations technologiques et techniques des Eames donc avec ces formes fluides. On explore ensuite l’après-guerre, où le Pop symbolise par rapport à la nature cette idée d’environnement, dont on parlait tout à l’heure, les usages se rapprochent du sol. On le voit dans certains dessins de Pierre Paulin les objets sont désormais pensés dans des environnements qui sont arpentables par les utilisateurs eux-mêmes, et on a véritablement cette idée à travers la revendication hédoniste du Pop de créer un environnement dans une vision assez démocratique, où tous les usages interagissent, et où on s’inscrit dans une dimension plus littérale de référence à la nature. Serge Mouille et Leonardo Mosso, avec le fonds exceptionnel de Mouille, dont on parlait tout à l’heure, serait présenté pour la première fois. Ce fonds qui était rentré en 2010 dans nos collections n’a encore jamais été présenté et rassemble aussi bien des objets, ces monotypes, ces objets qui fonctionnaient comme outils de réflexion sur le vivant eux-mêmes, comme des micro-organismes qui seront accrochés sur la cimaise pour créer une sorte d’environnement immersif. Avec ces encres, ces dessins de Mouille, on aura une pluralité de recherches qui viendront alimenter cet environnement au côté d’une pièce de Leonardo Mosso. Puis on décline d’autres sections, à nouveau Nature naturante, qui s’approche de ce que je vous ai présenté tout à l’heure dans Design et Merveilleux.
Une place centrale sera donnée à l’installation des Rêveries Urbaines des Bouroullec, où les Bouroullec avaient pensé une exposition au Champs Libre. Le dispositif est directement entré dans nos collections, et ainsi une petite partie de cette exposition sera présentée à Metz, un peu comme une exposition dans l’exposition. D’autres sections avancent dans le temps avec les « Formes numériques ». On retrouve le travail qui a été fait pour Design et Merveilleux avec « Formes fractales ». Nous espérons présenter à nouveau la Grotte de Hansmeyer. Vous voyez ici comment maintenant tout se recoupe, aussi bien des expositions qui ont été faites dans le cadre de Mutations-Créations que des œuvres historiques déjà présentes dans les collections et qui viennent croiser des acquisitions beaucoup plus récentes comme celles de Huissoud, Klarebeek, Formafantasma ou Samuel Tomatis sur la biofabrication. On retrouve aussi ces éléments de recherche de Heather Barnett sur le physarum polycephalum ou cette bio-imprimante 3D d’Allison Kudla. Le physarum polycephalum est très intéressant et est exploré par les scientifiques et par le champ de la bio-fabrication, puisque c’est un organisme unicellulaire, une mousse qui pousse dans la forêt et à laquelle certains chercheurs et designers s’intéressent comme par exemple Claudia Pasquero d’EcoLogicStudio dont on parlait tout à l’heure. C’est un organisme qui n’a pas de système nerveux mais qui pourtant à des capacités d’apprentissage, de transmission d’informations. Cela a été utilisé notamment par certains urbanistes puisqu’il va développer naturellement des formes, se développer de manière naturellement efficace c’est-à-dire qu’il va trouver les chemins les plus courts vers des sources de nourriture et racer les voies organiques les plus efficaces dans le sens ou le moins de moyen est nécessaire. Ainsi, des urbanistes vont les utiliser pour les comparer à certaines cartes de ville, de métro, etc. Vous voyez mieux la pièce de Teresa Van Dongen dont je vous parlais tout à l’heure, qui reconfigure ce rapport à l’objet avec ces batteries de bactéries qui alimentent la lampe en elle-même et qui est une source énergétique, le vivant devient une source énergétique. Et l’exposition se terminerait avec une petite salle, à nouveau dédiée à Tokujin Yoshioka, dans une dimension plus « méditative » de ce rapport au vivant, de ces frontières avec ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Nous sommes là avec des minéraux qui pourtant procèdent de la même manière que celle du vivant, dans une croissance générative de forme. Voilà pour cette présentation autour des activités de notre département et aussi bien la collection, que les expositions.
13. Discussion
Catherine Chomarat-Ruiz
Tout d’abord merci pour cette présentation qui tient de la performance, à travers ce foisonnement d’images et de projets montrés, et qui, en même temps, est très structurée. Je crois qu’on a tous apprécié, d’une part, cette présentation d’ordre historique du cadre dans lequel ces projets s’inscrivent et, d’autre part, une première manière de cerner les enjeux y compris, par exemple, des enjeux de genre, la place des femmes dans les collections. Nous avons sans doute tous apprécié, bien sûr, la présentation des projets, que ce soit des projets que se situent, qui se passent, qui se jouent à l’intérieur de Beaubourg ou qui se jouent à l’extérieur, à l’étranger ou bien dans d’autres types d’espaces comme Kanal, par exemple, qu’il s’agit d’investir, et à partir desquels il s’agit d’imaginer des choses.
Je ne veux pas mobiliser la parole trop longtemps mais il y a déjà des pistes de questions qui ont été posées : les protagonistes vont pouvoir les préciser. Il y a une piste, une question massive, qui est celle de savoir comment vous travaillez. Vous avez indiqué que, par exemple pour Mutations-Créations, c’était un programme de recherche avec des thématiques précises et un ordre donné (à charge de les développer). C’était quelque chose qui était fixé sur un nombre d’années comme, j’ai envie de dire, n’importe quel programme de recherche scientifique. Donc la première piste est la suivante : au-delà de ce programme, de ces principales fonctions, comment ça fonctionne ?
Il me semble qu’il y a une deuxième piste qui a été évoquée, et qui est celle de la scénographie : par exemple, vous-même, vous avez bien indiqué à des moments, « voilà c’est un peu frontal », etc. Et puis, à d’autres moments, « là, on a travaillé avec un designer » et je pense que la question qui est posée, c’est au fond celle de la scénographie spécifique ou pas à la question des expos de design.
Et puis je crois qu’il y a une troisième piste qui a été esquissée autour de la question de la maintenance et de la conservation des pièces qui échappent parfois au processus classique d’une conservation de l’objet type au moment où il rentre dans la collection, et qui pose des problèmes extrêmement intéressants : au fond, l’espace d’exposition ne s’apparenterait-il pas plus à un jardin botanique avec des questions de monstration particulière des collections et surtout d’entretien ? C’est-à-dire : comment on entretien ? Et est-ce que ça a du sens d’ailleurs d’entretenir le vivant ? Est-ce qu’il ne faut pas le laisser à un moment donné mourir et disparaître ? Il me semble qu’il y a trois pistes de réflexion et je pense que d’autres choses vont advenir. Alors parmi celles et ceux qui avaient commencé à proposer des questions, peut-être vous pouvez les préciser…
Valentine Mathieu
Bonjour, moi j’avais une question du coup pas trop en rapport avec tout ce que vous venez de dire mais c’était plus sur la partie du care et des designers comme Mathieu Lehanneur etc. Je suis en train d’écrire mon mémoire sur l’expographie et toutes ces notions qui m’intéressent beaucoup et justement je voulais savoir, enfin vous l’avez bien souligné finalement ce n’est pas encore un champ qui est encore très développé dans la scénographie l’expographie. Et vous avez parlé de musées scandinaves qui développaient plus cet aspect du design et je voulais savoir si vous aviez des noms de musées ou d’expositions auxquelles vous pensez en particulier ?
Olivier Zeitoun
Alors je ne suis pas encore spécialiste du care, du design inclusif, donc je ne voudrais pas dire de bêtises c’est quelque chose que je peux regarder, que je peux vous communiquer si vous le voulez. De tout façon, je pense que de manière générale en Scandinavie, il y a certains musées importants auxquels vous pouvez jeter un coup d’œil. Ce que je pensais, c’est en tout cas autour du monde anglo-saxon, c’est très présent, anglo-saxons et Scandinavie étant liés. Par exemple le V&A (Victoria and Albert Museum) a très vite intégré dans ses collections ce type d’objet et ce qui est très intéressant par rapport aux collections du Centre Pompidou, c’est qu’ au V&A il y a un département qui s’appelle Rapid Response Collection, où ils ont pour ambition de collecter, comme son titre l’indique, de manière rapide des objets de tous types donc je sais qu’il avaient acquis, comme je le disais tout à l’heure le premier pistolet imprimé en 3D en 2013 par Cody Wilson, ils ont imprimé ces sortes de petits robots qui sont destinés aux personnes âgées au Japon comme réconfort. Ils ont acquis pour leurs collections le burkini par exemple, donc dans ce département je sais que le design inclusif est très développé et pour eux c’est aussi une lecture du design inclusif mais qui n’est pas la seule lecture possible. Elle s’inclut dans cette idée de répondre aux enjeux sociétaux très rapides. Donc vous pouvez peut-être regarder au V&A par rapport à ça. Après je pense que dans les musées américains aussi parce qu’en fait la dimension du care, c’est une dimension théorique qui vient des Etats-Unis, très présente dans le champ scientifique mais pas spécifiquement au design, c’est apparu dans le champs de philosophie, etc. Donc naturellement cela a fait son apparition en France après quelques années, et ce serait intéressant de le croiser avec la notion de design inclusif qui n’a pas encore été traitée. Quand je dis que ça n’a pas encore été traité, c’est que ça n’a pas encore été traité pas seulement dans les expositions, c’est en référence aux autres collections nationales. C’est comme je vous le disais, des petites traces, on va avoir dans les collections un petit peu de Lehanneur par exemple par rapport à des projets plus emblématiques qu’une réelle réflexion où l’on a cherché à constituer un ensemble d’œuvres qui permettrait de monter une exposition, qui permettrait de monter un corpus sur le sujet. C’est là où il y a des manques en France parce que très certainement c’est lié à des questions plus larges dont se sont saisies les universités, les musées scandinaves.
Valentine Mathieu
Ok, super, merci.
Catherine Chomarat-Ruiz
Vous pouvez vous ressaisir des pistes et, si d’autres questions se greffent sur ces pistes-là pour les repréciser, les faire bouger... Je pense que c’est peut-être pas mal de revenir sur la méthode de travail, c’était une des premières interrogations, un peu massive et puis on est curieux. Comment ça se passe ?
Olivier Zeitoun
Donc à propos du terrain, vous avez eu un aperçu de comment on constitue une collection sur le temps. Mais en fait une collection c’est aussi et d’abord des choix qui sont fait par les conservateurs, le Centre Pompidou est un musée national et dans ce musée national il y a des départements. Nous sommes le département Design, et actuellement la directrice de service est Marie-Ange Brayer, conservatrice en chef. Actuellement nous faisons des choix pour enrichir la collection, qui correspondent notamment aux expositions que je vous ai présentées, qui sont des expositions qui pour certaines font échos aux enjeux de société. Cette collection se construit avec une succession d’individus, selon une succession de conservateurs et puis on arrive à des sortes d’ensembles qui seraient un peu organique ou non avec des manquements et qui reflètent vraiment les sujets de notre temps, et c’est peut-être pour cela que l’environnement y trouve toute sa place aujourd’hui. C’est pour cela qu’aujourd’hui, on pose la question de la place des femmes et que l’on remarque que dans l’exposition Mutations-Créations, la moitié de l’exposition s’appuyait sur le travail de designer, artistes, architectes femmes qui sont ensuite entrées en collection. On a donc des changements de paradigme qui se reflètent directement dans la collection, et nos corps de métiers sont de faire vivre ces collections. Quand on travaille dans un musée national, je dirais c’est faire vivre la collection à travers des exposition et à travers la question qui a été posée tout à l’heure, enrichir les collections ou restaurer des œuvres quand elles arrivent, on a donc différents corps de métiers.
Je le disais, il y a le conservateur ou la conservatrice d’un département qui donne une ligne et qui travaille avec le directeur du musée sur la programmation, qui va travailler sur un évènement comme Mutations-Créations. Il y a une volonté au Centre Pompidou d’amener les questions de société contemporaine, nous commençons à travailler dessus. Ensuite il y a tout un tas d’autres métiers, les restauratrices qui travaillent sur des œuvres qui arrivent en collection, il y nous-même, les attachés de conservation qui travaillons avec le ou la cheffe de service, on propose, on fait de la veille pour la collection autour d’axes de développement définis (sur le mobilier pour enfants, autour des femmes). Nous commençons à procéder à une veille, il y a aussi cet apport qui arrive de propositions faites au sein de l’équipe design et prospective industrielle. Finalement, nous travaillons avec différents métiers que sont les restauratrices, les scénographes au moment des expositions, la communication, la production. Le Centre Pompidou est l’une des rares institutions françaises où tout est encore internalisé, où nous avons la chance d’avoir des corps de métiers en interne, et ils sont très nombreux. En fait, j’aurai dû vous mettre au début l’organigramme du Centre Pompidou, c’est pour ça que je vous disais que c’est un peu naturel pour nous mais un peu opaque pour vous, parce que c’est vraiment une grosse machine. En résumé le Centre Pompidou est un centre d’art, et au sein de ce centre d’art, il y a le musée national d’art moderne où je travaille au sein du département Design. A côté de ce musée, il y a la direction de la production, la direction du mécénat, la direction de la communication, la direction des public, la bibliothèque, etc... Lorsque nous travaillons sur des acquisitions, des expositions, on active ces liens entre les différentes directions du Centre Pompidou. Nous formalisons notre projet d’exposition, notre programme de recherche Mutations-Créations, nous répondons à une demande de notre directeur au sein du musée, on nous dit il y a le Centre Pompidou Shanghai qui ouvre, « proposez une exposition une exposition de design ». Nous-même nous proposons des choses pour faire partie de la programmation du Centre. Tout cela a lieu au niveau du musée, entre les conservateurs et chefs de service. Quand ces projets sont approuvés quand ils sont conceptuellement théorisés, ils sont présentés en comité de programmation.
Une fois que c’est fait, le projet se met en œuvre et on commence à travailler avec la direction de production qui nous assigne une chargée de production, un scénographe. La chargée de production va se charger de contacter les artistes puisqu’on a dressé une liste d’œuvre, la chargée de production contacte les artistes, envoie des demandes de prêt et avec la scénographe, commence le travail scénographique. On donne notre liste d’œuvres à la scénographe ou au scénographe, et il va faire une première implantation des œuvres dans l’espace selon la galerie où l’on se trouve, et ensuite on retravaille avec lui. Evidement chaque fois que cela arrive on fait une explication très précise de l’exposition et on parle de ce qui nous intéressait. Quand on a commencé à travailler avec le vivant, nous avons bien alerté sur le fait que l’on allait avoir de pièces, des œuvres d’art vivantes et c’était un grand défi pour des questions de maintenance etc. Des restauratrices ont été mobilisées pour cette exposition, notre chargée de prod a travaillé plus spécifiquement sur des questions de normes pour faire entrer le vivant dans des espaces d’expo. Avec la scénographe, nous avons voulu imaginer une déambulation un peu organique avec des podiums ronds. Cette dernière salle « Programmer le vivant », vous l’avez vu, était dans la pénombre. Nous voulions signifier cette impression de rentrer dans la matière même alors qu’à d’autres endroits il y avait des espaces plus dégagés comme celui où se trouvait le bassin rose de Rosenkranz, ou Neri Oxman avec ces dialogues vraiment directs et des installations plus monumentales, entre guillemets, d’échelles diverses. Ce sont des questions que l’on va aborder avec la scénographe sur comment les choses dialoguent entre elles, comment faire dialoguer ces échelles. Le défi de Mutations- Créations c’est d’avoir des objets, des œuvres d’art, des éléments d’architecture et c’est une expérimentation, il faut donc mettre ces pièces en lien. Nous gardons tout de même un section design, une section architecture généralement.
Valentine Mathieu
Je voulais savoir s’il y avait du coup une scénographe spécifique à votre service design ou si par exemple elle s’occupait aussi d’exposition d’art ? Est-ce qu’elle est spécialiste ? Parce que ça soit être très différent quand même je pense.
Olivier Zeitoun
Oui tout à fait, alors en fait finalement c’est une des caractéristiques du Centre, tout est en interne et il y a des choses très transversales. Quand on a un projet, n’importe quel département du Centre est amené à travailler avec un des six scénographes qui travaillent en interne à la production et ces scénographes ont en général des affinités, ils demandent eux-mêmes sur quel projet ils vont vouloir travailler, mais ils peuvent travailler sur tout type de projet, aussi bien sur des expositions photos que sur des expositions d’arts plastiques, sculpture que sur des expositions historiques sur les avant-gardes puisqu’on est un musée d’art moderne, ou des expositions contemporaines de design ou d’architecture. Je dirais donc que ce sont des questions de scénographie d’abord qui priment, et c’est dans un travail étroit avec le commissaire, le conservateur et la conservatrice que l’on réfléchit aux propos de l‘exposition et comment ces choses dialoguent entre elles.
Catherine Chomarat-Ruiz¨
Je crois qu’il y a une question de Cassandra.
Cassandra Bonnafous
En fait vous avez parlé de votre volonté de traiter de problèmes de société contemporains mais dans votre présentation vous avez plusieurs fois évoqué le fait que savez des années à l’avance les expositions qui vont être programmées. Du coup est ce que ça ne créé pas un décalage, un retard sur ces problèmes de société ?
Olivier Zeitoun
C’est une très bonne question. Vous trouvez qu’on a du retard ? Non je plaisante. Au-delà du Centre Pompidou c’est une question qui se pose pour les grandes institutions en général, et même dans l’histoire de l’art. Je pense par exemple à l’exposition qui avait eu lieu au MoMA en 1972, Italy the new domestic landscape, une exposition manifeste sur la nouvelle scène italienne en 1972 et a été interprétée par tous les critiques, vous le savez peut-être, comme la fin du design Radical et une exposition hommage. Très souvent quand une institution comme le MoMA, comme Beaubourg se penche sur un courant artistique, sur une question, il est souvent, parfois trop tard. C’est donc une question très profonde liée aux institutions et leurs capacités de réaction, de réactivité. Sur Mutations-Créations, je trouve que nous avons eu la chance de trouver un format d’exploitation qui a été délimité en 2017 à travers des questions liées aux nouvelles technologies. En 2017 on savait que c’était les nouvelles technologies, que c’était pour cinq ans, mais cela a décliné différents sujets propres qui permettaient une agilité à chaque année, de se réadapter à ces sujets des nouvelles technologies. Je vous donne un exemple, par exemple, la première année en 2017 c’était l’impression 3D, la seconde année c’était sur le code, ça s’appelait « Coder le monde » là on est dans quelque chose qui reste actuel que ce soit en 2017 ou en 2020. Ensuite on a eu la question des biotechnologies et l’année dernière, la question de l’intelligence artificielle, organisée par Frédéric Migayrou, et celle à venir sera sur les réseaux. Notre démarche au sein du département design est toujours de repartir des œuvres et non d’avoir des cadres de pensée théorique un peu abscons, mais de vraiment partir des œuvres et de ce que ces œuvres disent ou véhiculent. Quand on voit qu’un un courant très important apparaît, on réagit assez vite avec les collections, parce que ça a lieu deux fois par an donc on peut prendre contact très rapidement avec les designers. De même, pour les relectures historiques nous pouvons réagir assez vite s’il y des relectures historiques qui nous intéressent, même si c’est un travail un peu plus long pour les collections. Et pour des expositions comme Mutations-Créations nous avons effectivement des échéances, mais pour le design ce sont parfois des échéances un peu plus courtes, on est un « petit service », nos expositions sont programmées à un ou deux ans, donc nous avons la possibilité de réagir très vite comme pour le Centre Pompidou Metz. Je vous ai donné cet exemple, on nous a contacté en milieu d’année dernière en nous disant « pouvez-vous faire une exposition sur le design à Metz ?». Il n’y en a pas eu depuis très longtemps, donc nous avons eu la possibilité de réagir vite et de proposer immédiatement cette question environnementale qui est encore très présente aujourd’hui et qu’on a sécurisée par la collection, avec cette rapidité qui est davantage possible. Après c’est une vraie question, quand on se retrouve dans une institution de cette ampleur là et qu’on a une collection, ce n’est pas comme un centre d’art ou il n’y a pas de collections et où il y a des programmation plus rapides et fréquentes. Là aussi il y a beaucoup de départements qui sont en jeu au sein du MNAM, il y a aussi beaucoup de sujets très différents qui sont programmés donc on a cette transversalité aussi, ce qui en fait sa richesse.
Cassandra Bonnafous
Du coup, quand vous dites de partir des œuvres, puisque finalement les sujets sont contemporains mais ne sont pas non plus des effets de mode donc ce n’est pas des sujets qui vont durer six mois mais qui peuvent jusqu’à quelques années comme pour l’environnement etc… Ces deux idées ensemble ça me fait penser que ce n’est pas les œuvres qui vont illustrer une pensée, mais plutôt qu’elles vont être à l’origine d’un sujet.
Olivier Zeitoun
C’est exactement ça, quand Mutations-Créations a émergé, on a constaté que l’impression 3D, les biotechnologies étaient quelque chose de présent déjà dans le travail des designers. Et nous le voyons au jour le jour en travaillant sur cette veille, en regardant ce qui se passe dans la création et donc l’idée c’est de ne pas faire un catalogage de ce que pourrait être un sujet, mais de voir comment les créateurs eux-mêmes sont prescripteurs de ces sujets de sociétés. Après ça c’est pour les expositions plus contemporaines mais après c’est une chose qui vaut aussi pour ce le service Design a exploré à Bruxelles ou à Toulon avec FUTURISSIMO, c’est-à-dire que l’on veut éviter le piège de faire quelque chose de didactique, dire « Alors le design italien c’est ça, puis ça a été ça, puis en suite ça a été ça ». C’est des choses qui ont été remises en question dans l’histoire de l’art et du design, cette chose très stricte entre les disciplines ou les périodes historiques. Dans ce cadre-là, ce sont des collections très importantes et historiques et on s’est demandé de quelle manière on pouvait travailler sur la scénographie, sur leur présentation, dans des lieux atypiques pour renouveler notre regard sur cette collection, pour proposer quelque chose d’un peu neuf, pas seulement illustratif. Après vous pourrez me dire que ça ne fonctionne pas, mais c’est ce que nous tentons de faire pour que ce ne soit pas simplement un catalogue ou un ouvrage, mais qu’il y ait une expérience sensible quand on est dans l’exposition qui lié au parcours, à une expérience émotionnelle des œuvres. Les couleurs dans FUTURISSIMO ne sont pas anodines, c’est pour qu’il y ait cette dimension physique de l’exposition et ça pour le coup, c’est quelque chose qui permet de relire de manière originale des pièces historiques.
Catherine Chomarat-Ruiz
En fait, il y a quand même un statut particulier des pièces qui sont montrées : pour les expos qui relèvent de Mutations-Créations, il s’agit de monter des processus en fait. Là, il y a un statut de l’objet très particulier qui est montré et une difficulté : c’est qu’on peut montrer un objet pour montrer un processus mais, pour l’expliquer, il faut arriver à mettre en œuvre d’autres éléments de l’exposition. Et je me souviens très bien de l’année ou l’expo a été montée : j’ai envoyé les étudiants de Master 2 de l’époque la voir. Ils ont trouvé l’exposition tout à fait passionnante et intéressante, mais ils disaient que la place et l’importance des cartels posent quand même problème, puisqu’il faut expliquer, d’une certaine façon, ce que l’on voit. C’est de toute manière vraie ou juste pour toute expo, mais ça l’est encore plus dans ce cas-là. Je ne sais pas comment vous réagiriez à ce type, entre guillemets, d’observation critique.
Olivier Zeitoun
C’est grâce à ce type de réflexion je pense qu’on peut avancer. Après c’est amusant, parce qu’on avait eu des retours qui nous disaient que dans La Fabrique du Vivant on avait un sentiment physique de cette matière vivante dont les catégories sont en train de changer, donc c’est vrai que si on veut comprendre des œuvres individuellement, ça demande de rentrer dans le détail, parfois il y a beaucoup et ça fait boulimique. C’est vrai et c’est quelque chose qui s’entend, mais on essaye de créer une atmosphère à travers la scénographie, de créer quelque chose qui soit un peu vivant dans l’exposition. Quand c’était le cas de Design et Merveilleux par exemple à Saint-Etienne, sur cette dimension du Merveilleux, il y a eu tout un travail autour de la lumière, où on était un petit peu dans la pénombre, où on avait cette idée de présenter des objets mais dans une dimension sensible liée à ce que cela peut créer. Mutations-Créations aussi comme c’était une sorte de laboratoire, l’idée était de rentrer dans cette sorte de cabinet de curiosités à grande échelle, avec plein d’œuvres dans la pénombre, et d’avoir ce sentiment, de comprendre d’abord tout ce que tout ça peut dire même si c’est énorme, et après on va regarder les pièces en elles-mêmes. Comme ce sont des processus, et des processus nouveaux, on est obligé de les expliquer, c’est très vrai, et ça fait appel pour la plupart, dans Mutations-Créations en particulier, à des connaissances techniques, scientifiques pour certaines qui sont importantes. Mais je dirais que quand on regarde des pièces d’Aalto, on est aussi obligé de comprendre l’innovation technique qui a eu lieu, et de comprendre le processus qui se cache derrière cette chaise longue, pour une lecture de l’objet. Enfin ça je vous renvoie la question, je ne sais pas ce que vous en pensez peut-être, comment vous dans une exposition idéale vous souhaiteriez que ces pièces historiques, pour le grand public, soient lisibles ?
Catherine Chomarat-Ruiz
Je pense que, ce qui est intéressant dans Mutations-Créations, notamment « Fabriquer le Vivant », c’est qu’après tout c’est une exposition : sa richesse supporte plusieurs déambulations. On peut avoir une déambulation sensible, simplement déjà écouter, parce qu’on comprend vite que l’exposition est aussi sonore, mais aussi sentir l’œuvre sur le parfum par exemple : on comprend que ça n’est pas qu’une question de voir, tous les sens sont requis. Donc, on peut avoir une première déambulation, celle du spectateur qui a envie de voir, qui a envie de sentir et si, on en a envie, dans un deuxième temps ou peut-être troisième temps, on peut revisiter l’ensemble pour s’attacher de façon un peu plus précise à comment ça fonctionne et ça, j’ai envie de dire, que c’est vrai de toutes les expositions, qu’elles soient d’art ou de design.
Je pense que le propre d’une exposition c’est de susciter de l’émotion parce que, s’il ne s’agit pas de susciter de l’émotion, à mon sens, à quoi bon aller voir l’expo ? Autant lire un bouquin. Donc, si on va voir l’expo., se confronter aux œuvres, c’est pour ressentir quelque chose, et l’intellect, j’ai envie de dire, arrive de manière croisée, ou dans un deuxième temps. C’est vrai de toutes les expos sauf que, peut-être dans ce cas-là on a affaire à une exposition qui révèle un processus et une façon de pratiquer les expositions dont on a presque plus conscience au bout d’un temps, à force de pratiquer les expositions. Ce type d’expo. nous pousse à analyser le comportement ordinaire dans les expositions, donc il y a une dimension expographique, analytique.
Olivier Zeitoun
Oui parce qu’en plus on s’est retrouvés confrontés au fait de montrer des médias très différents qui vont de l’objet, du dessin, à la vidéo, à l’installation, avec des échelles de monstrations qui vont de choses intimistes à des choses plus imposantes. Et c’est en jouant avec ces échelles qu’on peut susciter quelque chose d’émotionnel qui permet de comprendre un enjeu actuel, oui, c’est vrai. Et je dirais qu’il y a aussi cette approche immédiate aux œuvres, il y a narration qui a aussi une place importante dans une exposition. Cela peut être déroutant mais pour comprendre tout ce qui se dégage de là, on a souvent l’impression qu’une exposition s’écrit d’abord, s’écrit dans sa narration et raconte une histoire au visiteur, au spectateur, une histoire du temps présent avec le Vivant par exemple ou une histoire de la Modernité avec la nature qui a parfois été oubliée et finalement, on peut voir le Pop sous un nouvel angle on a vu que c’était déjà assez présent chez Eames. Et cette dimension narrative est importante peut-être pour le visiteur pour ne pas le perdre.
Catherine Chomarat-Ruiz
En plus, on peut rajouter une strate : le catalogue permet de revenir à tout ça. Et ça c’est extrêmement important : la série de catalogues compose ou recompose ces expositions, j’ai envie de dire, entre elles. C’est intéressant de voir, avec du recul, comment elles se répondent les unes aux autres. Donc c’est une expérience qui est en train de se faire et c’est une chance de pouvoir comme la mener à travers ces différents supports.
Cassandra Bonnafous
Concernant cette idée de déambulation et de plusieurs lectures, moi c’est quelque chose que j’ai retrouvé dans l’exposition sur le Merveilleux à Saint-Etienne parce que j’ai trouvé que la parcours était très libre et ça permettait, même s’il y avait plusieurs thématiques qui étaient regroupées, de passer très facilement de l’une à l’autre, de revenir sur ses pas, de faire des boucles et donc ça permettait de plus facilement voir les œuvres comme un ensemble. Et même s’il y avait des œuvres de différentes époques, de mieux les lier et en fait de mieux comprendre comment les unes avaient pu influencer les autres, ou peut-être comment les œuvres plus anciennes avaient commencé à déceler des notions ou des problématiques qu’elles n’ont pas pu explorer avec les technologies de l’époque, mais qui étaient quand même présentes et un peu implicites. Cette liberté de parcours permettait en fait de justement repasser plusieurs fois devant les œuvres, une première fois de les regarder, peut-être de lire les explications etc. et une deuxième fois de mieux les comprendre et à ce moment-là de ressentir plus d’émotion je trouvais.
Olivier Zeitoun
Oui, si c’est important ce sentiment et ce retour, merci ! Par exemple tout à l’heure je vous le disais dans Imprimer le Monde c’était le cas. A partir du moment où on abat la hiérarchie de discipline, on peut aussi permettre des dialogues qui sont spécifiques au format d’exposition. On peut mettre les vases d’Olivier Van Herpt juste à côté d’un prototype architectural qui lui sera au sol. On avait fait une section design, c’est vrai, certes, une section prototype architectural, mais il y a eu cette incursion de ces deux objets dans la section design et c’était tant mieux en fait, c’est des choses qui peuvent participer, disons qu’il y a une sorte de trame narrative de fond, sur laquelle, il va se construire des déambulations plus libres.
Catherine Chomarat-Ruiz
Je crois qu’il y a une autre question de la part de Lucy.
Lucy Doherty
Oui, moi c’était sur l’exposition Design et Merveilleux, vous avez dû la déménager à Shanghai, je me demandais du coup l’importance de sentir l’espace, comment est-ce que ça s’est passé ? Vous avez fait avec des plans 3D pour dessiner tout ça ou vous avez du presque déléguer aux gens sur place parce que ressentir ça c’est…
Olivier Zeitoun
Heureusement, comme je vous le disais, j’avais pu y aller en 2018 juste avant le Covid, en octobre 2018, c’était principalement pour ça et rencontrer les designers chinois, j’avais pu voir l’espace d’exposition. Généralement quand on fait une exposition comme ça hors les murs, c’est vraiment essentiel, pour Toulon on l’a fait, pour Metz on le fait, on se rend sur le lieu de l’exposition pour saisir un peu l’espace, c’est un travail que vous connaissez très certainement, et pour connaître cet espace. Après on a une vision de la galerie, pour Shanghai on avait une liste d’œuvre qui était déjà faite par rapport à Saint-Etienne, on savait aussi qu’on voulait ajouter cette sélection de designers chinois et donc ça nous permet mentalement de déployer notre liste d’œuvres dans l’espace, avant même que notre scénographe nous fasse une proposition et de voir ce qui va rentrer ou non, etc. Et après pour Shanghai c’est vrai que n’aillant pas le choix on a dû faire appel aux outils numériques. Alors je dirais que moi je me suis rendu sur place, ensuite on a livré notre liste d’œuvres à la scénographe qui elle a fait une première implantation, elle aussi s’est rendu sur place, donc pour son projet scénographique, elle connaissait l’espace, elle y était allée donc ça prenait ça en compte aussi. Ça c’est sur la scénographie générale qui nous a permis de penser le principe scénographique, et après comme je vous le disais, sur les associations en elles-mêmes normalement c’est au moment du montage qu’on ajuste, et il y a parfois de très grands changements en dernière minute qui sont cause de rebondissements.
Par exemple dans la Fabrique du Vivant, la pièce que vous avez vue, olfactive, notre scénographe l’avait pensé dans un coin. Et puis en fait on s’est rendu compte, et personne ne l’avait vu avant, parce que sur plan, on n’avait pas eu de vue 3D par exemple pour la Fabrique du vivant, donc personne n’avait pu voir sur plan que ce cube qui venait du plafond allait occulter Neri Oxman derrière, qui mangeait l’espace, et c’est quand on voit les œuvres, quand elles arrivent, quand elles sont installées qu’on voit ce qu’elles font à l’espace en fait, ça c’est vrai. Et c’est quand on est au moment du montage qu’on sait si une œuvre va en manger une autre, qu’elle va interférer avec une autre et il y a une démission vraiment organique à ça. Sur Design et Merveilleux, heureusement je dirais que comme on était sur une deuxième exposition on savait qu’il y avait des ensembles très précis liés au numérique, aux arabesques. On avait vu à Saint-Etienne que c’était des ensembles qui fonctionnaient aussi bien, et on n’a pas eu d’interférences et j’essaie (?) à des changements qu’on aurait faits, mais il n’y a pas eu vraiment. Oui, ça tient du miracle, je ne sais pas, c’est la première fois qu’on travaillait de cette manière-là, par visio on a pu aussi avoir ce sentiment. Il faut dire que les vues 3D, ça fonctionne très bien aussi on se rend compte de ça parce que notre cerveau se paramètre aussi pour faire avec les contraintes. Malheureusement c’est une exposition qu’on n’a pas vue, moi-même je ne l’ai pas vue, c’est un peu triste de produire quelque chose qu’on ne voit pas comme ça à distance donc je ne peux pas vous dire aussi, si ça se trouve il y a des interférences mais à partir des vidéos il semblerait que ça va.
Lucy Doherty
Mais c’est frustrant.
Olivier Zeitoun
C’est frustrant. Et comme je vous dis le meilleur moment c’est quand même quand les pièces arrivent. On a pensé ce projet sur tellement de papiers, d’écrans et que d’un coup on voit les œuvres arriver, on voit leur matérialité, on voit qu’elles se parlent entre elles, c’est super oui.
Catherine Chomarat-Ruiz
Alors merci à vous, Olivier, d’avoir fait cette très belle présentation, d’avoir répondu à nos questions, d’avoir été attentif à notre curiosité. Et puis merci à toutes et à tous d’avoir été là du début de ce cycle de 8 séances de conférences, puisque c’est notre dernière séance. C’est donc le moment de se quitter, jusqu’à la prochaine fois en tout cas. Voilà !
Olivier Zeitoun
Merci à vous, merci de votre attention et de vos questions.
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https://journal.dampress.org/issues/lexposition-de-design, consulté le 28 juin 2021. ↩