La décroissance par la production de signes ? Le design graphique à l’épreuve des écologies guattariennes
Yann Aucompte

Professeur Agrégé de design graphique en DNMADe graphisme au Lycée Jean-Pierre-Vernant de Sèvres.
Doctorant à l’EDESTA, sous la direction de Roberto Barbanti, Université Paris-8, dans l'équipe TEAMeD-AIAC.

Résumé
Cet article propose d’examiner les performances du graphisme en matière d’écologie et de décroissance de la productivité. L’analyse entend adopter la pensée de Félix Guattari et son écosophie pour soumettre les pratiques de graphisme à l’examen écologique. Les questions de « graphisme » et de « Nature » chez Guattari sont liées dès l’Anti-Œdipe. La théorie de Deleuze et Guattari est alors fondamentalement une critique des théories structuralistes du signe et de la psyché. Pour repenser la fabrique technique des objets il faut réévaluer ce à quoi nous aspirons collectivement et expérimenter à l’échelle locale des micro-politiques inventives. Lorsqu’il est question d’écologie, le graphisme est rarement mentionné comme un design en pointe. Cependant, depuis vingt ans une nouvelle forme de design graphique est apparue. Elle est qualifiée de « pratique située », de « graphisme social », de « graphisme en résidence », ou encore « d’imagier-écrivain public ». Sans revendiquer une posture écologique, ces praticiens correspondent cependant assez bien au programme esthético-politique proposé par Guattari dans Les Trois écologies, Chaosmose et Lignes de Fuite. Bien qu’ils ignorent tout du philosophe et psychanalyste, ces praticiens exercent une activité aux multiples écologies : symbolique, mentale, environnementale, sociale, économique, etc.

Abstract
This article’s aim is to describe the performances of graphic design in terms of ecology and degrowth. The analysis uses the philosophy of Félix Guattari and his « ecosophy » concept to submit graphic design practices to ecological examination. The questions of « graphics » and « Nature » are linked in Guattari’s theory since the writing of Anti-Oedipus. At its heart, the theory of Deleuze and Guattari is a critique of structuralist theories of the sign and the psyche. To rethink the technical production of objects we must reassess what we collectively aspire to and experiment with inventive micro-politics at the local level. When it comes to ecology, graphic design is rarely mentioned as a cutting edge design discipline. However, in the last twenty years a new form of graphic design has appeared, which is labelled « situated practice », « social graphics », « graphic design in residence », or even « public image-maker and writer ». Without adopting an explicit ecological stance, the practitioners within this new paradigm align with the aesthetic-political program proposed by Guattari in the books The Three Ecologies, Chaosmosis and Lines of Flight. Although these designers don’t usually know the philosopher’s work and his ideas on psychoanalysis, their activities match with multiple ecologies: symbolic, mental, environmental, social, economic, etc.

Introduction

Poser la question des environnements techniques et naturels en design graphique est certainement une des questions les plus difficiles pour une expérience de pensée à caractère philosophique. Peut-on envisager quelque chose comme un graphisme écologique et décroissant ? Par tradition, dans la métaphysique le champ particulier du graphisme a trait à l’écriture et à l’image : deux objets qui ont à voir avec la représentation mentale et la culture — donc des objets sans rapports ontologiques avec la Nature. Le couple écologie/écriture n’a pas de description classique, pas d’archétype culturel occidental dans lequel se fondre. Le design graphique en tant que métier et en tant que discipline a versé dans différentes théories sémiologiques : le structuralisme (Barthes, Durand), la déconstruction-vernaculaire (Derrida, Baudrillard, Foucault), l’iconologie marxiste (Berger) sont certainement les trois modèles les plus forts encore aujourd’hui dans la pratique1. Dans chacun de ces modèles pourtant nous n’avons aucun indice, aucun lien, aucun discours structuré entre signe et nature, ou entre graphie et environnement naturel. Ces théories sont constructivistes et placent la question du signe dans un univers clos et séparé de la réalité physique. Les opérations de design graphique sont affectées à l’imaginaire, à la conscience et aux relations sociales. Aussi, pour évaluer les performances du design graphique en écologie il nous faudrait une théorie du signe qui soit aussi écologique. Nous allons voir que les questions soulevées par Félix Guattari (1930-1992) dans son écosophie, répondent pour partie à l’étiquette d’une théorie du signe2 qui serait en même temps écologique.
Bien qu’a priori l’écosophie guattarienne3 réponde à notre recherche d’une sémiologie écologique, il faut cependant rentrer dans le détail de sa pensée. Nous opérerons ici d’une façon atypique pour comprendre sa pensée : il s’agit de décrire les options pratiques que Guattari a prises dans ses diverses actions militantes (psychanalyse institutionnelle, radio-libre, journalisme-amateur/télé-local, militances politiques) et d’en déplacer les enjeux au domaine du design graphique.
L’écosophie de Guattari se caractérise par son refus de l’unicité mono-explicative de l’écologie : il y a d’emblée une multiplicité d’écologies, de même qu’il y a une pluralité de motifs aux événements du Réel, qui ne peuvent être modélisés de façon certaine et stable. L’écosophie est une « articulation éthico-politique […] entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine4 ». Nous pouvons partir de cette tripartition pour structurer notre description. Mais avant cela, il nous faut commencer par l’analyse de sa perception du graphisme et de l’écriture.

1. Graphisme, écriture et graphie chez Guattari

Pour Guattari, le graphisme circule dans les organisations sociales comme un flux ou une force qui infléchit les actions humaines et la « nature5 ». Le graphisme est impliqué dans des machines abstraites (systèmes) ou diagrammatiques qui lui servent « à définir les conditions de possibilité des mises en œuvre techniques, partant, à expliquer comment les cultures modulent du biologique, du sociopolitique et du matériel dans leurs agencements6 ». Avec Deleuze ils prennent pour exemple l’usage de la géométrie par les romains. Elle est autant une affirmation identitaire et culturelle qu’une organisation diagrammatique qui résonne dans les phénomènes naturels. Ils construisent des villes, sur la base de camps militaires, par une structure orthogonale autant agissante dans l’expérience esthétique individuelle, qu’active sur le plan social, militaire et physique. Les villes se bâtissent vite, on s’y repère facilement, elles marquent par leur étrangeté et leur orthogonalité les cultures tribales du bassin méditerranéen et de l’Europe. Elle relève d’une « géométrie d’état7 », qui partout cherche des alignements et finit par les produire. Elle créé des « segmentations en acte8 » où « la géométrie et l’arithmétique prennent la puissance d’un scalpel9 ». Nous avons beaucoup conservé de ces usages diagrammatiques des signes dans nos organisations urbaines et dans notre représentation de l’efficacité10.
Dans la représentation ontogénétique de Guattari se tisse également une typologie des relations entre signes et nature. Nous touchons ici à l’intérêt profond que le graphisme et son design peuvent retirer du travail de Guattari. Dès l’Anti-Œdipe, en 1972, le discours du philosophe-psychanalyste se donne comme une critique du structuralisme11 (de Lacan, Freud et Saussure) et de son interprétation des signes (opposition signifiant-signifié). Disséminée dans ses écrits, il y a comme une histoire politique et naturelle des systèmes scripturaux qui organisent ce que nous appellerons la graphie (écritures et signes) : machines abstraites, diagrammatiques, signifiantes, etc. Les écrits de Guattari laissent transparaître l’influence de certaines analyses de Varela sur le cerveau humain12. L’être humain a tendance à chercher l’ordre de par les structures neurologiques et les modes sociaux d’organisation propres aux mammifères. En effet, l’histoire des premiers signes nous montre que la graphie concourt davantage à une recherche d’ordre et de sens13. Le calendrier paléolithique luni-solaire de Sergeac14, illustre assez bien cette tendance de la graphie. La graphie est utilisée assez tôt comme moyen d’enregistrer les phénomènes de la nature, ceci de manière à ranger et ordonner ses manifestations. L’« histoire15 » du signe de Guattari a ses périodes et s’organise autour de l’émergence des formes politiques et sociales : tribales, nomades, cités-états, états-empires, etc. Les formes politiques agencent des rapports spécifiques entre graphisme, voix, dette, corps, lignage (classe), collecte des ressources, etc. Dans les structures tribales les signes sont gravés à même les corps et les objets dans une relation d’obéissance à la voix16. Guattari et Deleuze comparent ainsi la scarification rituelle à un sillon labouré dans la terre : deux interventions sur la matière même des choses. Toutes les inscriptions sont des « géo-graphisme[s]17 » ou des marques territoriales qui indiquent une dette18 : le jeune homme scarifié doit la vie à sa tribu, il paye le prix douloureux de la scarification, qui marque son appartenance — elle-même activée par la voix en tant que son corps devient un territoire. C’est l’écologie du signe dans une structure tribale : son agencement avec la nature, le social et les individus. Parallèlement les cités-états (cf. Mésopotamie) vont organiser une nouvelle relation au graphisme. Les relations entre dette, signe, territoire et corps se hiérarchisent et s’imbriquent. Le « despote-roi » annule les dettes coutumières et tribales puis impose une dette infinie avec l’impôt et la Loi. Les habitants de la cité ont moins d’obligations envers leurs proches qu’envers l’État. La graphie19 prend de nouvelles fonctions : signe monétaire et écriture des lois20. La forme graphique (signifiant) est une expression du pouvoir. La graphie propose des signifiants qui remplacent la présence du personnage d’autorité21. D’un point de vue de son histoire occidentale donc le graphisme organise, contrôle, porte la voix du pouvoir, structure et délimite22.
Nous avons beaucoup gardé de ces organisations/machines dans la graphie contemporaine : le design graphique a pour principale vocation de conférer une autorité à un discours visuel. Guattari dirait qu’il s’agit de procurer une visagéité : donner à l’agencement de signes une identité ou un visage qui nous inspire confiance. La préoccupation environnementale des designers graphique n’est pas aisée à mettre en œuvre avec cet héritage. Le signe que nous manipulons aujourd’hui oscille entre marquage de possession magique et reflet du pouvoir : à aucun moment il ne peut être au service d’une relation respectueuse de la nature. Ce dernier constat s’entend si nous considérons ici que l’écologie environnementale vise à favoriser le développement, l’autonomie et la diversité des espèces vivantes. Le signe n’est pas agissant uniquement par ses propriétés physiques et phénoménologiques, mais aussi et surtout dans et par le cadre culturel qu’il compose avec d’autres activités23 : ce sont les relations qu’il tisse qui l’emportent sur son essence. De la même façon, dans sa description de l’écologie naturelle, Guattari tend à remettre en question l’ensemble de nos conceptions naturalistes et matérialistes.

2. Une écologie sans description matérialiste : travailler le récit commun de la nature

Ce qui questionne au premier abord chez Guattari c’est l’absence d’ontologie de la nature au sens classique24 : pas de description des phénomènes de la nature, ou de principes fondamentaux de l’Être qu’il jugerait universel. Il qualifie à plusieurs reprises de « scientiste » certaines de ces représentations de la « nature » — terme quasi-systématiquement entre guillemets. Le scientisme n’étant pas la Science mais une certaine utilisation des sciences par les industries, l’informatique25, la politique et la publicité26. Aussi la question de l’écologie naturelle dans notre société semble toujours être relative à des récits et des manières de la décrire qui sont trop autoritaristes27. Le terme qu’il choisit pour décrire cette nouvelle prise en compte de la nature est « éthico-esthétique28 ». La nature doit subir une reconfiguration de ses récits, en partant d’une singularisation des individus et de leur faculté d’invention, qu’il qualifie d’hétérogénétique29.
Cette première lecture cache en vérité qu’il y a bien quelque chose comme une ontologie30 immanente chez Guattari. Cette vision, bien que singulière, puise aux idées de Gilbert Simondon, Lewis Mumford, Francisco Varela, Humberto Maturana et Noam Chomsky. Il faut commencer par dire que le terme « ontogénèse31 » est plus approprié au système décrit par Guattari. Il n’y a pas une substance unique et un principe qui forme la nature mais des « multiplicités machinées32 » qui se mêlent pour former des évènements ponctuels et inattendus. Pour expliquer son fonctionnement, il emprunte par translittération le terme anglais « machine », qui est plus souvent traduit par « système33 ».
Dans une pensée qui voit le monde comme changeant, la machine est un agent de répétitions et de reproductions : tout change et dans ce continuum d’infinies transformations les machines sont partout ou un réseau d’actions se répète entre des êtres (naturels et humains). Ces machines orientent des forces et des contraintes de diverses natures34 : physiques, symboliques, légales, abstraites, sensibles, etc. L’idée est que déjà dans la nature des logiques antagonistes se rencontrent : un oiseau déplace des brins d’herbes35 de leur milieu, poussé par sa pulsion de reproduction, initialement les brins d’herbe ont la fonction de capter la lumière par photosynthèse avec la chlorophylle, pas d’être attrayants visuellement. Les liens sont alors complexes et hétérogénétiques36. La nature se construit sur des systèmes aux fonctionnements et logiques hétérogènes : minéraux, végétaux, humains, animaux, etc. Nous avons établi un lien entre écologie et signe dans les travaux de Guattari. Il faut maintenant comprendre comment il envisage les autres écologies.

3. Écologie symbolique/mentale

L’écologie symbolique est certainement la partie la plus évidente pour notre analyse du graphisme. Le domaine du design graphique a de fait un attachement particulier aux phénomènes symboliques et mentaux, étant donné son inscription privilégiée dans des pratiques reconnues comme culturelles. Le design graphique revendiqué comme postmoderniste a particulièrement travaillé ces questions dans les années 1980-199037 aux États-Unis. Il s’est beaucoup interrogé sur la position d’autorité du designer dans l’organisation des messages de communication. Le courant que l’on a appelé déconstructiviste (influencé par Derrida) s’est alimenté à la French Theory (Barthes, Baudrillard, Foucault, Deleuze, de Certeau). Partant des cours de Katherine McCoy à Cranbrook Academy of Arts, ce « courant » a tenté de remettre en question le dogme neutraliste du graphisme fonctionnaliste. Leur écologie symbolique consiste à défaire les hiérarchies habituelles dans la composition du texte, notamment en rompant les habitudes de lecture et de mise en page apportées par le style suisse. Avec la déconstruction le lecteur est confronté à des compositions « difficile à lire » qui le mettent « au travail38 » pour interpréter le message et faire de l’absorption d’informations une contribution active. La déconstruction est associée dès le début par Katherine McCoy à la notion de « vernaculaire ». Cette notion39 conduit les graphistes et étudiants de Cranbrook comme Jeffery Keedy, P. Scott Makela, Ed Fella, Andrew Blauvelt, etc. à intégrer à leur mise en page des éléments empruntés aux « graphistes » amateurs et au kitsch. Nous retrouvons cette tendance chez des graphistes français comme M/M (Paris) et la plupart des néo-auteurs, qui dans les années 2000 tendent à leur tour à utiliser la culture pop dans la communication des grandes institutions culturelles, plus tard dans le monde du luxe et de la mode. Ils décrivent leur démarche comme une manière de renverser les hiérarchies symboliques, qui privilégient la représentation des modes de vie des groupes sociaux dominants40. Les images graphiques et typographiques qu’ils proposent sont souvent saturées de signes et de registres différents qui invitent à trouver de multiples accroches au regard. Mais ils inversent également la hiérarchie des voix, puisque au lieu d’un message descendant, ce sont les classes minoritaires et les petits groupes sociaux qui « parlent » par et avec leurs propres signifiants. Le moment de la lecture est un acte créatif. Il s’invente alors du sens au lieu qu’il s’en communique de façon descendante. Ces approches du design graphique relèvent d’une écologie symbolique telle que décrite par Guattari.
Ne hâtons pas trop l’analyse en prédisant une sorte de performance innée du graphisme en cette matière. Guattari définit l’écologie symbolique principalement à partir d’une représentation psychologique qui s’inscrit en réaction à l’usage du structuralisme de Freud et Lacan dans les institutions41. Influencé par les travaux de Varela et Maturana il considère que l’esprit n’est pas structuré comme un langage42. L’analyse psychologique de Guattari n’est pas non plus basée sur l’étude des souvenirs43. Le patient n’a pas la maladie en lui, mais ses symptômes sont le fait d’un ajustement à un milieu pathologisant44. Par exemple la schizophrénie est quelque chose comme la solution que l’individu a mobilisée pour survivre à un milieu pathogène. Les individus n’ont pas des personnalités formées et stables mais élaborent des processus de subjectivation, en se transformant en permanence pour s’ajuster aux situations. Nous sommes mis en mouvement par des forces qui nous poussent à agir, nous portent à aller dans un sens ou un autre. Il n’y a pas un individu humain donné et stable, mais il se construit dans ces processus sociaux et techniques : « Il n’y a pas d’interaction entre les individus. Il y a constitution de la subjectivité à une échelle d’emblée transindividuelle45 ». Nous sommes donc d’abord attachés à des préoccupations très locales, puis à force de pratiques ritualisées, à force d’échanges et de partages nous pouvons déterritorialiser notre expérience, la déplacer, l’expliquer, avoir prise sur le réel pour le subjectiver. Guattari appelle cette aisance avec la nouveauté la chaosmose, une certaine faculté à s’ajuster à l’étranger ou à attendre l’inattendu46.
Bien que très militant il ne parle pas de table-rase révolutionnaire. Au contraire, il faut partir de l’existant47 et y proposer des solutions inventives, méthode qu’il emprunte à l’école de Palo-Alto48. L’idée n’est pas de produire un seul changement global salvateur, mais sans cesse de modifier les organisations locales (micropolitiques ou révolution moléculaire). Guattari est très engagé en politique mais en critique les organisations partitaires qui empêchent l’inventivité politique49. Le politique est pour lui le domaine où doit s’exercer une diversité (hétérogenèse) des points de vue qui nourrit le dissensus des idées50. Par le développement d’une singularité et d’une diversité des idées il entend aussi la multiplication de surfaces d’échanges entre les écologies51. Le politique est aussi l’endroit où s’expriment les difficultés personnelles, les obstacles psychologiques, les souffrances des individus et des sous-groupes sans qu’une raison unifiante et universelle ne soit l’objectif du débat. Pour cette raison l’écologie environnementale est indissociable des deux autres écologies. Ainsi, à la clinique de La Borde, où il pratique, les patients sont libres de se déplacer, ont des activités professionnelles et sociales. Ils participent également à débattre des choix politiques et curatifs de l’établissement. La question n’est donc pas uniquement médicale mais toujours simultanément mentale/symbolique, sociale/politique et environnementale/naturelle.
Bien qu’il n’ait pas décrit le travail de graphistes dans leurs relations au symbolique, Guattari a travaillé avec la publicité et le journalisme : deux milieux de la communication et de l’écriture. Il reconnaît aux publicitaires « l’intelligence, la sensibilité » et un « nervosisme extraordinaire52 », lorsqu’il observe qu’ils sont complètement investis dans leurs travaux. Pour lui, la publicité « travaille à l’état naissant53 » sur des « phénomènes de mutation subjectifs qui ne s’enregistrent pas au niveau des analyses sociologiques ou ordinaires54 ». En ce sens il les compare aux artistes qui travaillent sur des objets asignifiants, toujours au bord de la folie. La publicité ressemble à de la « parole vide […] » qui laisse croire qu’« en apparence, ce qui est véhiculé, c’est un message, en réalité, c’est une modélisation de la subjectivité55 ». Il prône également un journalisme nouveau56, moins autoritaire dans la formulation des informations57. Ce journaliste écosophique n’est pas « un professionnel de la vérité58 » car il n’y a plus « d’information véridique en soi, réifié, transcendante » mais un « prestataire de services, de mise en scène ; avec une connotation relative à l’art, un paradigme esthétique référé aux arts plastiques, au théâtre, à l’expression poétique, à travers lesquels pourra émerger une information dûment positionnée par rapport à ses éléments existentiels59… » Un autre champ de la production symbolique, le cinéma, lui paraît obéir à des praxis écosophiques. Le cinéma peut passer d’une pratique de masse normalisante à une sorte de documentaire, « une pratique mineure pour les minorités60 ». Aussi le cinéma, autant que le journalisme et la publicité, ne diffusent pas de « messages » (formes signifiant-signifié) car « avant d’être des moyens de communication, de transmission d’informations, ils sont des instruments de pouvoir. Ils ne manient pas seulement des messages, mais avant tout de l’énergie libidinale61 ». Les images cinématographiques de masse sont des vecteurs de flux ; flux qui peuvent influencer les comportements et les organisations sociales de façon normalisante. Cependant cette description de la formation de la subjectivité s’inscrit d’emblée dans des échanges sociaux. Il convient donc maintenant de relier ces premières considérations avec l’écologie sociale que Guattari propose.

4. Écologie sociale : favoriser l’engendrement de nouveaux modes de subjectivité

Historiquement, le design graphique opère dans l’écologie sociale de façon régulière. Le graphisme d’auteur, puis d’utilité publique s’est interrogé sur la fonction sociale des signes dans les années 1970-1980. Derrière cette démarche il y a la volonté de faire de la communication le lieu d’une éducation populaire à l’image. Avec l’avènement de la libéralisation des gestions d’établissements culturels, de la privatisation des espaces d’affichages, puis de la PAO le métier perd une grande partie de son fonctionnement collectif et son medium privilégié : l’affiche. La figure du néo-auteur, autonome et héroïque, s’appuie sur cette libération technique en poursuivant le mythe du créateur d’affiche, artiste dans l’âme. En réaction à ce graphisme, beaucoup relayé par les institutions culturelles, des pratiques sociales se développent en relation avec le théâtre, l’écriture et l’urbanisme alternatif. Deux pratiques collectives de design social62 peuvent ici nous permettre de comprendre comment le design graphique endosse des questions d’écologie sociale : Agrafmobile et Fabrication-Maison.
Agrafmobile est un projet de théâtre visuel dans l’espace public fondé par le graphiste Malte Martin, il allie consultation publique, graphisme et théâtre. Dans le projet Circuler il y a tout à voir, une banque d’histoires à Clichy/Montfermeil, le collectif travaille avec Matthieu Simonet, un écrivain connu pour ses pratiques collaboratives. Les habitants sont invités à écrire et à témoigner sur leur ville. Leurs contributions sont affichées sur les panneaux de chantiers qui envahissent la ville dans le cadre d’un vaste programme de rénovation urbaine. Par ce projet le collectif repense l’information citoyenne attachée aux travaux publics63 qui habituellement transforment la ville en « désaisissant » les habitants de leur environnement. Le projet sollicite les habitants pour qu’ils soient les acteurs des récits et des signes institutionnels, de façon à ce qu’ils s’approprient les mutations. Le travail d’Agrafmobile revient ici à imaginer des rites d’interactions sociaux nouveaux, là où les normes bureaucratiques dominent : il fait « autrement » mais il fait « avec ». Le projet donne la parole à des habitants issus des classes populaires les plus défavorisées. Le graphiste est ici comme le journaliste écosophique de Guattari : il mêle art, théâtre, littérature et action sociale.
La résidence Danube-Solidarité du collectif Fabrication-Maison peut également assez bien illustrer une écologie sociale propre au design graphique. Le collectif est une association installée dans le quartier Danube-Solidarité. À l’occasion d’ateliers ils invitent les habitants à concevoir la signalétique et la communication des évènements de quartier.

© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison
Figure 1. Une fresque d'accueil dans le quartier. Réalisée à partir des ateliers avec des habitants, Fabrication-Maison.

© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison
Figure 2. Phase de conception du projet Danube-Solidarité, Fabrication-Maison.

© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison
Figure 3. Phase de conception du projet Danube-Solidarité, Fabrication-Maison.

Le projet développe des méthodes de co-conception qui permettent de donner une autorité à des signes conçus par des habitants qui ne sont pas des professionnels de l’image. Au lieu de voir des affichages publicitaires conçus par des grandes agences, les habitants exposent leurs représentations des sujets à communiquer. Ici encore nous voyons bien ce qui est spécifique à l’écologie sociale du design social. L’espace public est le lieu d’un travail collectif qui amène les habitants à produire les signes qui leur sont adressés. L’espace public est théâtralisé pour devenir le lieu de pratiques inhabituelles de contribution. Dans les signes qui sont conçus, les graphistes ne sont plus les auteurs et les professionnels responsables du discours visuel. Ils n’ont plus pour objectif de donner un visage institutionnel aux signifiants (graphie). Dans la co-production de signes les graphistes sociaux font du théâtre, de la littérature et du graphisme simultanément. Car en combinant ces registres esthétiques, ils travaillent leurs compétences écologiques spécifiques. Dans leurs travaux de design de signes ils opèrent à trois niveaux sur les représentations : politique-idéologique, culturel-identitaire, visuel-sémiologique. Leur écologie sociale est démocratique par structure. Elle entend de ne pas figer l’espace de production des valeurs, mais plutôt de permettre la mise en danger des lieux communs64. Ces préjugés nécessitent un travail sur les représentations mentales. Mais dans l’espace public, qui est aussi bien la place publique que le travail et ses organisations, nous rencontrons l’autre dans sa différence en permanence. Les minorités culturelles doivent pouvoir s’exprimer et s’y représenter. Les graphistes travaillent cet aspect avec les signes. Le graphiste se doit de faire comprendre que l’imagerie de masse n’est pas une représentation réaliste mais une composition de signes65. Lorsque les graphistes sociaux travaillent la production d’images avec les habitants ils leur donnent à la fois les moyens d’une analyse des effets de l’image et un pouvoir d’écriture de l’image. Ils travaillent la manière de penser une chose par la façon de la traduire en image66.
Nous l’avons vu Guattari considère la formation des personnes comme un processus continu de subjectivation et de singularisation. Cette représentation de la formation de la conscience individuelle entend un échange permanent avec les environnements sociaux et naturels. À ce titre l’analyse écosophique est essentiellement une analyse des relations entre ces facteurs. Le social n’est pas le lieu d’exercice de normes ou de surdéterminations, par nature67. Un environnement social sain est hétérogénétique et constitue un processus dans lequel « les individus doivent devenir à la fois solidaires et de plus en plus différents68 ». Le danger est que le capitalisme et les sciences ne donnent une représentation trop déterminée du monde qui empêche les initiatives69. Inspiré par Bateson il considère que les milieux sociaux ont besoin d’inventivité dans les relations symboliques. Guattari propose que le modèle esthétique devienne le modèle du social. Toute action collective doit être entendue comme une œuvre d’art70. Il n’entend pas faire de tous les citoyens des artistes exposés dans les grands musées. Il décrit la politique culturelle comme étant « réactionnaire71 » et dominante, empêchant ainsi les initiatives. Pour Guattari le modèle esthétique de culture en vigueur dans les années 1980 est principalement dominé par les modèles de la culture d’élite et les modèles de la culture de masse ou « culture-marchandise72 », notamment celles du rock et de la mode prêt-à-porter. Lorsqu’il parle d’art, il entend en fait des processus de subjectivation de groupes-sujets73 qui donnent : « la capacité de saisir une resingularisation de la vie, le sel de la vie, l’envie d’avoir un rapport aux sons, aux formes plastiques, aux formes environnementales…74 » Il cherche toujours à ce que se produisent une diversité de points de vue singuliers et un dissensus dans « la création d’une multitude de fonctionnements alternatifs75 ». Il n’y a pas de décisions plus efficaces que les autres, pas de processus qui garantissent la réussite. Les organisations sociales échouent sans cesse et cet échec est sain. Aussi l’œuvre d’art n’a pas pour ambition de sidérer un public admiratif — mais de susciter de la part du spectateur une participation accrue76. Guattari critique le projet néolibéral incarné à l’époque par Thatcher et Reagan, car il ne propose aucune alternative et s’en revendique fièrement. Pour Guattari « on pourrait parfaitement faire autre chose77 » parce que « Tout est à refaire à chaque fois78 ». C’est en ce sens qu’une écologie sociale ne vient pas effacer le passé des organisations mais s’appuie sur l’être là79. À ce titre Guattari remarque souvent que des moyens sont déjà mis en œuvre localement, mais que systématiquement des représentations dominantes les évitent ou les invisibilisent. Cependant les révolutions moléculaires doivent être plus spontanées (auto-poïétiques80) que provoquées par des appareils d’état ou de parti81, car « Il n’y a rien à revendiquer dans ce domaine, mais tout à faire par soi-même82 ». Il faut donc passer à l’acte83 pour mettre en connexion « une multiplicité de désirs moléculaires84 ». Il faut placer les expérimentations politiques dans le sensible de l’action : l’activité politique est dans les activités quotidiennes, où il faut expérimenter à échelle réelle85. Nous pouvons utiliser l’expérience que Guattari a fait des radios-libres pour saisir cette idée en acte86. Il décrit le projet des radios-libres comme l’expression de « groupes-sujets87 ». Il loue la maladresse et la spontanéité des émissions. Ce qui ressort de cette expérience pour Guattari est que les groupes-sujets ne peuvent se fixer dans des protocoles pérennes et duplicables. Les investissements lourds déterritorialisés tendent à freiner les projets esthético-politiques réellement émancipateurs et hétérogénétiques.

Conclusion

À la question « comment le design peut défaire les obligations de productivité, imposées par le système technique ? » le design graphique semble avoir répondu de façon écosophique. Le design graphique n’a pas forcément une substance ou une essence du signe qui lui donnerait une matière à travailler écologiquement. La question qui se pose alors à nous est double : comment peut-on faire un design du graphique qui se formalise plus clairement ce qu’est un signe ou la graphie ? Comment faire qu’il soit écologique dans son registre sémiologique propre ? À la lumière de l’écologie guattarienne sa nature et surtout ses effets semblent plus appréhendables. La question n’est pas dans la forme, ou dans sa relation directe avec la « nature ». Ce qui se construit dans l’écologie de Guattari a trait à l’expression d’une pluralité. Il n’y a pas de type privilégié d’action, mais la nécessité d’une praxis inventive qui fait des relations sociales des moments d’expérimentation. Il faut donc partir de l’existant pour laisser s’exprimer des initiatives qui, pour le bien de tous, échoueront forcément à moyenne échéance.
En ce sens donc le design graphique répond pour partie au programme éthico-esthétique de Guattari. En particulier dans le design social où le graphisme propose des moments d’échanges et de représentativités politiques. Aussi lorsque le designer n’est pas l’auteur ou le producteur de signe et qu’il donne les moyens d’expression aux habitants/citoyens, il active une boucle de rétro-action écologique. Certes, il ne traite pas de la nature, en tout cas pas toujours. Mais par cette action le designer graphique redonne la faculté d’imaginer des alternatives aux normes bureaucratiques dominantes. Le designer graphique pose les conditions d’un débat d’idées partagé qui nous sort de nos postures de consommateurs. Paradoxalement, sans chercher à transformer les rapports de production, il organise les moyens de la réduction de son empreinte : les ateliers sont locaux, ils utilisent des moyens artisanaux ou des matériaux usinés sommairement, ils consomment peu de ressources par des moyens simples, par là ils nous éduquent à des expériences esthétiques moins spectaculaires mais aussi moins porteuses d’inactions, ils exercent l’attention à notre environnement immédiat et parfois à la nature88.
En travaillant sur le symbolique et le social, le design graphique89, malgré lui, remet en question les représentations occidentales qui voudraient que nous soyons « maîtres et possesseurs de la nature90 ». En ce sens le design social nous incite « à rêver d’autres rêves91 ». Il invite à dépasser les rapports de production de notre système technique, souvent présentés comme allant de soi92. Dans cette perspective le design graphique doit penser non plus en termes de rapports de production mais de rapports d’engendrement93. Les choses, les individus humains, le vivant et les organisations ne sont pas produits mais engendrés par des organisations (symboliques, sociales, naturelles). Ils arrivent à l’existence poussés par des forces (flux) qui les conditionnent et ne sont que des moments de processus machinés ou systémiques. En ce sens donc, penser de façon écologique dans l’anthropocène c’est à la fois reconnaître l’extraordinaire pouvoir de nuisance du groupe-sujet humain, mais aussi être conscient de sa faible capacité à infléchir les choses par sa volonté propre et individuelle. Le Réel est complexe et le projet formé dans l’esprit d’une personne ne peut que rarement infléchir la réalité de façon sûre : pour nous conformer à la pensée de Guattari, il nous faut expérimenter un design graphique de l’engendrement qui soit collectif et situé.

Remerciements de l’auteur à Roberto Barbanti, Jean-Marc Bretegnier, Matthieu Marchal, Malte Martin pour leurs relectures.

Bibliographie

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Crédits et légendes

• Figure 1. Une fresque d'accueil dans le quartier. Réalisée à partir des ateliers avec des habitants, Fabrication-Maison.
© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison

• Figure 2. Phase de conception du projet Danube-Solidarité, Fabrication-Maison.
© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison

• Figure 3. Phase de conception du projet Danube-Solidarité, Fabrication-Maison.
© Jean-Marc Bretegnier - Fabrication-Maison


  1. Une étude systématique de la littérature française depuis ces vingt dernières années a permis de mettre en lumière la récurrence de ces idées pour penser la pratique. 

  2. Dans le sens où Deleuze considère son travail et celui qu'il conduit avec Guattari comme un travail sur les signes « Tout ce que j’ai écrit […] constituait une théorie des signes », Deleuze, Gilles, Pourparlers, Paris, Les éditions de Minuit, 1990, p. 196. 

  3. Il y a plusieurs écosophies : celles de Arne Naess, ou de Michel Maffesoli par exemple. Toutes sont dissemblables autant sur leurs objets (nature, sociologie) que sur leurs logiques internes. 

  4. Guattari, Félix, Les Trois écologies, Paris, Galilée, 1989, p. 12. 

  5. Les machines abstraites sont efficientes sur les objets physiques. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, Paris, Les prairies ordinaires, 2012, pp. 430-431. 

  6. Sauvagnargues, Anne, « Machines, comment ça marche ? », dans Chimères, n°77, 2012/2, pp. 35-46. 

  7. Guattari, Félix ; Deleuze, Gilles, Capitalisme et Schizophrénie 2 : Mille-plateaux, Paris, Les éditions de Minuit, 1980, p. 258. 

  8. Ibid

  9. Ibid

  10. La géométrie est un graphisme symbolique, mais agissant car il exprime et structure des propriétés physiques : dans l’architecture, dans la cartographie, l’ingénierie, etc. Guattari prend l’exemple d’un avion supersonique de pointe : Le Concorde « n’est pas fait seulement d’acier, d’aluminium, de fils électriques ; si on n’en retient que le poids d’acier ou d’aluminium, cela ne mène pas loin. En particulier cela ne permet pas de voler dans l’espace économique et l’espace du désir ». Les plans de construction, les calculs d’ingénieurs, les plans de financements, les lois et les accords internationaux, les longues heures de lecture sur des contes et histoires qui imaginent l’action magique de voler, sont autant de machines diagrammatiques et désirantes qui font exister cet avion. Voir Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, Paris, Lignes poche, 2013, p. 209 et Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 523. 

  11. Opposition classique « fond / forme ». Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 439. 

  12. L’auto-poïése englobe les phénomènes de cet ordre qui sont à l’œuvre socialement chez les mammifères. Pour Varela le postulat selon lequel l’esprit est structuré comme un langage n’a pas de validité : Kawamoto, Hideo, « L’autopoïèse et l’“individu” en train de se faire », dans Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2011/3, Tome 136, pp. 347-363 ; Félix Guattari témoigne plusieurs fois de cet emprunt théorique, il revient sur cette source dans « À propos des machines », Chimères, n°19, Érès, printemps 1993, p. 88. 

  13. Eco, Umberto, Le Signe, Bruxelles, Labor, 1988, p. 18 ; Bourg, Dominique, Une nouvelle Terre, Paris, Desclée De Brouwer, 2018, pp. 25-30. 

  14. Jègues-Wolkiewiez, Chantal, Les calendriers paléolithiques de Sergeac et de Lartet décryptés, Autoédité, 2014. 

  15. Il est difficile de parler d’histoire tant Gilles Deleuze s’oppose à cette forme de connaissance dans ses écrits. Dans l’Anti-Œdipe, il s’agit plutôt d’une cartographie des types de cultures politiques. Guattari quant à lui, en propose une histoire dans Lignes de Fuite

  16. Guattari, Félix ; Deleuze, Gilles, Capitalisme et Schizophrénie 1 : Anti-Œdipe, Paris, Les Éditions de Minuit, 1972, p. 227. 

  17. Ibid., 1972, p. 226. 

  18. Au sens de Marcel Mauss et de Claude Lévi-Strauss. Ibid., 1972, p. 226. 

  19. Deleuze et Guattari parlent de « graphisme » dans Anti-Œdipe

  20. Guattari, Félix ; Deleuze, Gilles, Capitalisme et Schizophrénie 1 : Anti-Œdipe, op. cit., 1972, p. 251. 

  21. Ils appliquent ici les grandes lignes de la théorie sémiotique de Louis Hjelmslev, qui subdivise le signifiant en signifiant-signifié, et ceci de façon itérative à chaque étape de l’analyse où apparaît un signifiant. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 206. 

  22. L’hypothèse est largement partagée par le milieu du graphisme. Voir Froshaug, Anthony, « Type as grid », dans The Designer, n°167, Janvier 1967, on retrouve ces hypothèses chez Goody, Jack, La Raison graphique, Paris, Le sens commun – Les Éditions de Minuit, 1979 ; McLuhan, Marshall, La galaxie Gutenberg 1, Paris, Gallimard, 1977 ; McLuhan Marshall, La galaxie Gutenberg 2, Paris, Gallimard, 1977 ; Daston, Lorraine ; Galison, Peter, Objectivité, Dijon, Les presses du réel, 2012 ; Debray, Régis, Cours de médiologie générale, Paris, NRF, 1991 ; Debray, Régis, Le scribe. Genèse du politique, Paris, Grasset, 1980. 

  23. Une manière magico-chamanique de maîtriser la nature par ses signes. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 205. 

  24. Schérer, René, « Les visions écosophiques de Félix », dans Antonioli, Manola (dir.), Chimères, n°76, « Écosophie », Érès, 2012/1, p. 16. 

  25. Par exemple l’informatique prédit et structure les comportements. Voir Guattari, Félix ; Rolnik, Suely, Micropolitiques, Paris, Le Seuil, 2007, p. 62 ; Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, Paris, Lignes poche, 2013, p. 524. 

  26. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, Paris, Les prairies ordinaires, 2012, p. 445. 

  27. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., pp. 548-549. 

  28. Guattari, Félix, Les Trois écologies, op. cit., p. 72. 

  29. Ce qu’il défend comme une primauté du dissensus et de la pluralité . Voir Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 334. 

  30. Terme qu’il prétend « mettre à toutes les sauces » mais qu’il évite car il limite la liberté d’agir dans la praxis. Voir Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 294. « Je ne me réclame d’aucune ontologie » au sens des ontologies de l’histoire de la philosophie, « la question première, maintenant, est de forger non pas une ontologie, mais une lecture des ontologies de toute nature ». Ibid., p. 86. 

  31. Au sens de Gilbert Simondon. Voir Barthélémy, Jean-Hugues, Penser l’individuation, Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 37-103. Guattari en fait un usage occasionnel, par exemple dans Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., 2013, p. 287. 

  32. Schérer, René, « Les visions écosophiques de Félix », op. cit., p. 17. 

  33. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 116. 

  34. Guattari, Félix, L’Inconscient machinique, Paris, éditions recherches, 1979, p. 160 ; Guattari, Félix, Chaosmose, Paris, Galilée, 1992, p. 55. 

  35. Guattari, Félix, Lignes de fuite, Paris, L’aube, 2011, p. 277. 

  36. Guattari, Félix, L’Inconscient machinique, op. cit., 1979, p. 138. 

  37. Lupton, Ellen ; J. Miller, Abott, « Deconstruction and Graphic Design », dans Design Writing Research, New York, Kiosk Book, 1996. Lupton, Ellen, « A postmortem on Deconstruction », dans, Heller, Steven ; Finamore, Marie (dir.), Design Journal. An anthology of Writing from The Aiga Journal Of graphic Design, New York, Allworth Press, 1997. 

  38. Entretien par correspondance électronique avec Katherine McCoy, 26 juin 2017. 

  39. Empruntée aux travaux de Robert Venturi en architecture. Voir « Layers of Meaning. Katherine McCoy », dans Poynor, Rick, Design Without Boundaries, Londres, Booth-Clibborn, 1998, pp. 45-52. 

  40. King, Emily, « Nicolas Bourriaud », dans King, Emily (dir.), M/M (Paris) de M à M, Paris, La Martinière, 2012, pp. 332. 

  41. Aussi pour Guattari une représentation de l’écologie mentale doit se faire à partir des pathologies (schizophrénies par exemple) et pas des névroses, qu’il décrit comme des écarts douloureux à la normativité bourgeoise. Voir Guattari, Félix, Chaosmose, Paris, Galilée, 1992, p. 111 ; la névrose est le sujet de la psychanalyse freudienne que Guattari critique systématiquement. À ce propos : Guattari, Félix ; Deleuze, Gilles, Capitalisme et Schizophrénie 1 : Anti-Œdipe, op. cit., 1972. 

  42. Guattari, Félix ; Rolnik, Suely, Micropolitiques, op. cit., 2007, p. 49 ; Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 191. 

  43. Il refuse « L’exploration des mystères d’un inconscient tapi dans les recoins obscurs de la mémoire » qui déchiffre « un insconscient déjà tout constitué, fermé sur lui-même », dans Guattari, Félix, L’inconscient machinique, op. cit., p. 192. Il s’appuie sur les recherches de l’école de Palo Alto et notamment de Gregory Bateson pour analyser les situations actuelles des patients.  

  44. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 347. 

  45. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 150. 

  46. Paraphrase du titre d’ouvrage de Stiegler, Bernard, L’attente de l’inattendu, Genève, HEAD, 2005. 

  47. De façon concise et aphoristique « faire avec ». Voir Guattari, Félix, Les Trois écologies, Paris, Galilée, 1989, p. 33. 

  48. École de la psychanalyse, représentée par des théoriciens comme Gregory Bateson ou encore Paul Watzlawick, qui tend à favoriser l’analyse des communications dans le milieu du patient. Ainsi la pathologie ou la névrose n’est pas « dans » le patient mais dans les relations à son environnement. Le milieu étant pathogène, l’individu analysé s’adapte à ces situations et développe des comportements qui apparaissent inadaptés aux normes sociales. 

  49. Il décrit une militance qui est massifiée. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 57. Les partis sont décrits comme des machines de répression structurelle. Voir aussi Guattari, Félix ; Rolnik, Suely, Micropolitiques, op. cit., 2007, p. 225. 

  50. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., pp. 487-566. 

  51. La question de l’organisation est centrale pour Guattari. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 77. Mais elle doit être polycentrée pour être hétérogénétique. Ibid. p. 119. Il développe cette hypothèse autour du communisme dans Guattari, Félix ; Toni Negri, Les Nouveaux espaces de liberté, Paris, Lignes, 2010. 

  52. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 475. 

  53. Ibid., p. 477. 

  54. Ibid. 

  55. Ibid., p. 476. 

  56. Ibid., pp. 141-143. 

  57. La vérité et son autorité sont des blocages machiniques, ils empêchent la circulation des interprétations personnelles et donc des machines désirantes. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 510. En ce sens l’information est infantilisante. Voir Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 526. 

  58. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 143. 

  59. Ibid. 

  60. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 370. 

  61. Ibid., p. 384. 

  62. Nous empruntons ici cette appellation, qui n’est pas partagée par les praticiens, elle ne fait pas non plus consensus dans la recherche. Voir Findeli, Alain, « Le design social » [en ligne] http://www.sfe-asso.fr/sites/default/files/document/le_design_social_par_alain_findeli.pdf (consulté le 1er avril 2021). Gérard Paris-Clavel se revendique du titre de « graphiste social », mais Malte Martin parle de « pratiques situées » ou Jean-Marc Bretegnier « d’imagier public ». Observations issues d’entretien avec les graphistes : Gérard Paris-Clavel le 24 octobre 2018, Malte Martin le 06 juillet 2017, Jean-Marc Bretegnier, entretien du collectif Fabrication-Maison en juin 2018. 

  63. Descriptif sur le site du projet [en ligne] http://www.agrafmobile.net/espaces-publics/ateliers-medicis (consulté le 1er avril 2021). 

  64. Boekraad, Hugues, Mon travail ce n’est pas mon travail, Pierre Bernard, Design pour le domaine public, Zurich, Lars Müller Publishers, 2006, p. 43. 

  65. Roland Barthes le notait déjà : « sans doute un paradoxe historique important plus la technique développe la diffusion de l’information, notamment de l’image, plus elle fournit le moyen de masquer le sens construit sous l’apparence du sens donné ». Voir Barthes, Roland, « Rhétorique de l’image », dans Communications, n°4, 1964, p. 47. 

  66. Guattari parle alors de l’action de sémiotiser

  67. Guattari, Félix ; Toni Negri, Les Nouveaux espaces de liberté, op. cit., p. 19. 

  68. Guattari, Félix, Les Trois écologies, op. cit., p. 72. 

  69. Notamment les modèles basés sur la calculabilité généralisée du monde. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 445 ; par exemple il prône une singularisation pédagogique plus qu’une réforme généralisée et centralisée des modèles institutionnels. Voir aussi Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?,op. cit., p. 529. 

  70. Guattari, Félix, Les Trois écologies, op. cit., p. 31. 

  71. Guattari, Félix ; Rolnik, Suely, Micropolitiques, op. cit., p. 23. 

  72. Ibid., p. 26. 

  73. Guattari, Félix, Chaosmose, op. cit., p. 137. 

  74. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 161 et pour un développement, Ibid., p. 99. 

  75. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 117. 

  76. « Flash de la signification » qui immobilise. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 418. 

  77. Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 231. 

  78. Guattari, Félix, Lignes de fuite, op. cit., p. 89. 

  79. Autrement dit pas de table rase ou de grand soir. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, Paris, Les prairies ordinaires, 2012, p. 76. Il faut plutôt « organiser les processus alternatif lorsqu’ils existent ». À ce propos Guattari, Félix ; Suely, Rolnik, Micropolitiques, op. cit., p. 134. 

  80. Guattari, Félix, Lignes de fuite, op. cit., p. 85. 

  81. Il prend l’exemple d’une clinique autogérée du Bronx, dédiée à la désintoxication, où les médecins ne sont pas acceptés, sauf à titre de consultant. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 47. 

  82. Ibid., p. 542. 

  83. « Passe à l’acte » dans Guattari, Félix, Qu’est-ce que l’écosophie ?, op. cit., p. 542. 

  84. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 59. 

  85. Guattari, Félix, Chaosmose, op. cit., pp. 166-167. 

  86. Il dirige Radio Tomate de 1981 à 1982. Cette dernière compte jusqu’à 50 000 auditeurs mais est fermée par l’État au moment de l'attribution des fréquences des stations. Guattari, Félix ; Suely, Rolnik, Micropolitiques, op. cit., p. 155. 

  87. Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 354. 

  88. Les nichoirs de Malte Martin dans le projet Superval, L’atlas de la débrouille de Fabrication-Maison ou les drapeaux pour les oiseaux migrateurs de Lucile Bataille co-conçus avec des migrants. 

  89. Pour lui, souvent, la pollution n’est qu’un symptôme des problématiques structurelles. Voir Guattari, Félix ; Suely, Rolnik, Micropolitiques, op. cit., p. 359. Aussi ce qu’il appelle le sémiotique est un point d’entrée révolutionnaire plus pertinent pour régler des problèmes environnementaux. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., p. 447. 

  90. Célèbre aphorisme tiré de la 6e partie du Discours de la méthode de René Descartes [1637]. 

  91. « Raconter des histoires qui nous permettent, peut-être, de rêver d’autres rêves, de comprendre autrement ce qui nous est arrivé quand nous nous sommes proclamés “modernes”. » Stengers, Isabelle, Une autre science est possible, Paris, Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2013, p. 125. 

  92. Irréversibilité typique d’une culture occidentale qui naturalise les choix techniques selon Guattari. Voir Guattari, Félix, La Révolution moléculaire, op. cit., 2012, p. 354. 

  93. Latour, Bruno, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017, p. 106.