Dans l'Antre du producteur.
Grégory Marion

Enseignant en CPGE Arts et Design à l’ÉsaaB (École supérieure d’arts appliqués de Bourgogne), Nevers. Docteur en esthétique, art & sciences de l’art, spécialité design, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, associé au laboratoire Design, Arts, Médias (UFR 04).

Résumé
L'antre (du latin antrum «creux», lui-même du grec antron) peut désigner ce creuset où s'élabore une transformation plus ou moins secrète. Utiliser ce terme permet d'interroger la place du designer au sein de situations productives de diverses natures, accueillant des conduites ou méthodes elles aussi tout aussi variées, selon qu'il s'agisse de la fabrique, de l'usine, du studio, de l'atelier, du bureau, de la cuisine ou du laboratoire, etc. En examinant plusieurs cas historiques et contemporains, en commentant et confrontant les attitudes adoptées par les designers, mais aussi par les artistes et les industriels, l'argument soulèvera la question des modes opératoires tendus entre art.s et design.s et proposera un registre métaphorique pour penser l'articulation de ces différents bassins de production. Quelques visites pourront alors s'esquisser comme suit, articulant la différence de leurs climats particuliers et les caractéristiques de leurs modes opératoires à des qualités spatiales spécifiques : agir, opérer, exercer, effectuer, éprouver.

Summary
In the producer's lair
« L'antre » (from the Latin antrum "hollow", itself from the Greek antron) can designate this crucible where a more or less secret transformation is elaborated. Using this term allows us to question the place of the designer within productive situations of various natures, hosting conducts or methods that are also just as varied, depending on whether it is the factory, the factory, the studio, the workshop, the office, the kitchen or the laboratory, etc. By examining several historical and contemporary cases, by commenting and confronting the attitudes adopted by designers, but also by artists and industrialists, the argument will raise the question of the tense operating modes between art(s) and design(s) and will propose a metaphorical register to think about the articulation of these different production basins. Some visits can then be outlined as follows, articulating the difference of their particular climates and the characteristics of their operating modes to specific spatial qualities : acting, operating, exercising, carring out, experiencing.

Le texte de cet article est une version remaniée d’une conférence-rencontre organisée par Frédéric Ruyant (designer) et effectuée à la HEAR (Haute école des arts du Rhin, Mulhouse-Strasbourg) le 23 novembre 2017. Par ailleurs, l'argument doit beaucoup aux méditations et discussions suscitées par le séminaire doctoral « Arts et industries » (2010-2015) de Pierre-Damien Huyghe et plus particulièrement aux pistes de réflexions que l'auteur propose dans l'essai « Le temps des studios », in Huyghe, Pierre-Damien, Azimuts, nº47, Du travail, essai, esadse/Cité du Design, 2017.

Introduction : Des « situations questionnantes »

L'antre, du latin antrum le «creux», peut désigner, dans le champ de l'art et du design, ce creuset où s'élabore une trans-formation plus ou moins secrète. Utiliser ce terme plein de mystère (qui renvoie notamment au registre métaphorique du repaire, mais aussi à celui de la protection) n'a pas ici pour but d'insister sur l'aura clair-obscur qui hanterait l'imaginaire d'un supposé « créateur », mais permet plutôt d'interroger le travail, les procédés, les moyens et l'attitude de l'hôte — en l'occurrence le designer — producteur au sein de situation.s diverses, trop souvent, c'est un fait facile à vérifier, passée.s dans l'ombre des résultats médiatisés.

Ces situations de production peuvent, en effet, varier. Et selon qu'il s'agisse plutôt de fabrique, d'usine, de studio, d'atelier, de bureau, de boutique, de cuisine, de laboratoire, etc., elles empêchent ou au contraire rendent possible, par leur spécificités mêmes, telle ou telle manière de faire.

La multitude de ces configurations et climats de fabrication pourrait affoler et porter les esprits catégoriques à l'idée commode d'un classement de ces milieux en spécialités exclusives les unes par rapport aux autres. Toutefois, l'expérience de terrain montre qu'au contraire les projets les plus passionnants sont ceux qui construisent un mariage inédit de contextes, inventent des synergies, savent passer de l'un à l'autre et, ce faisant, mettent des polarités en tension. Il n'en demeure pas moins que des modes d'association ou encore des tendances lourdes et des signaux faibles peuvent être remarqués au sein de pratiques qui, en design, demandent encore à être découvertes et pour lesquelles nous n'avons souvent qu'un matériel fragmentaire.

Cet article ne tente que d'ébaucher le paysage d'une recherche, encore à produire, sans prétendre l'épuiser ; il s'agit plutôt de proposer quelques traits ou repérages pour susciter des frictions critiques dans le but discuter les approches convenues ou carrément de faire tomber des clichés qui demeurent tenaces. Sur le plan conceptuel la proposition distingue entre plusieurs conduites en posant cinq questions d'orientation qui tentent de traduire et différencier des manières de faire : agir, opérer, exercer, effectuer, éprouver. Mais c'est d'abord à partir des situations matérielles, des espaces et des caractères individuels qu'émanent ces différentes méthodes d'approche ou attitudes.

C'est pour caractériser des différences et des tonalités au sein des manières de faire des designers, tout en maintenant ouverte cette question, que les cinq verbes précédemment énumérés esquissent des nuances. En creux, il en ressort une critique de l'usage foisonnant du mot «faire», peut-être trop globalisant et générique et qui circule parfois aujourd'hui comme un maître-mot. Il s'agit de montrer comment, chez plusieurs designers, le fait de faire, ou disons plutôt, de donner forme ne se limite pas à une éxecution ni même à une action.

L' étude des cas proposée tend donc à décronstruire une définition de la tâche du designer restreinte au seul fait d'agir ou encore de gérer un projet, et montre en quoi son attitude tient radicalement au fait d'opérer un travail, d'exercer des moyens, d'éffectuer des recherches, d'éprouver un milieu technique et/ou culturel.

On sait, avec le philosophe Étienne Souriau, que, pour l'artiste, ce qui est décisif avec l'engagement dans « l'expérience prérogative du faire » c'est qu'elle permet d'entretenir « une situation questionnante1 ». Ainsi, une gradation et une échapée, éventuellement hors de l'espace de l'atelier, vers des modes d'existence plus incertains, périlleux ou précaires, marquent le trajet du raisonnement proposé.

« Comme des nains juchés sur des épaules de géants »

Cette métaphore donne le paradoxe de celui qui s'invite dans l'antre du producteur. La formule originale est attribuée à un certain Bernard de Chartres (philosophe français du XIIe siècle) par son contemporain Jean de Salisbury, qui écrivait ceci :

« Bernard de Chartres disait que nous sommes comme des nains juchés sur les épaules de géants, de sorte que nous pouvons voir plus de choses qu'eux, et des choses plus éloignées qu'ils ne le pouvaient, non pas que nous jouissions d'une acuité particulière, ou par notre propre taille, mais parce que nous sommes portés vers le haut et exhaussés par leur taille gigantesque2 ».

La figure qui incarnerait le mieux cette configuration aujourd'hui serait peut-être celle du stagiaire rusé effectuant un dépassement dialectique en tirant parti de sa position. Si « l'expérience d'immersion en milieu professionnel » se passe dans de bonnes conditions, il peut s'augmenter par l'autorité échangée entre le maître et l'aprenant. Ce dernier peut même essayer de faire mieux que son supposé « supérieur ». Entre modestie et audace le stagière sagace, conscient de ses propres limites et qui cherche à s'en émanciper par la vertu de ses prédécesseurs, s'élève jusqu'à un point où il est aussi encouragé à prendre des initiatives et à embrayer, à sa façon, des manières de faire. Le rappel de cette situation de formation et de ce rapport de force dialectisé entre « nains » et « géants », pour anecdotique et parodique qu'il puisse paraître, n'a pourtant rien de fortuit : car c'est l'expérience même de découverte en milieu professionnel, matrice d'un métier, qui dit-on, ou pense-t-on usuellement, est décisive pour celui qui s'engage dans l'activité de designer. Or, la petite maxime des nains juchés sur des épaules de géants a le mérite d'ajouter un enjeu crucial : celui de la distance qui sépare les exemples illustres du quidam et de la distance nécessaire d'une prise de recul critique évitant toute imitation servile. Elle permet, d'une part, de mettre en doute les éventuels effets d'une coopération et/ou d'une transmission s'effectuant dans le registre d'un rapport au mentor. D'autre part elle souligne l'exigence d'une élévation qui n'est possible que par le truchement d'une connaissance ou fréquentation assidue de ceux qui ont, dans la culture, marqué l'histoire de la discipline. La formule pourraît donc prendre l'allure pour tout curieux de l'antre du producteur d'une morale ou d'un adage marquant un état d'esprit, une attitude modeste sans être révérencieuse :

« La phrase renvoie à deux dangers guettant les jeunes (et sans doute moins jeunes, tout aussi bien) chercheurs. Le premier consiste à penser que l'on peut se hisser vers les sommets à la seule aide de ses propres forces [...]. La sentence appelle à une certaine modestie : les anciens étaient des géants, et les jeunes qui entrent dans le métier n'ont pas encore atteint leur taille propre [...]. Le second est inverse : si l'on prend soin de comprendre et reconnaître le gigantesque gabarit des anciens, en aucune manière il n'en faut être écrasé, se sentir dominé, ou penser que l'on ne pourra jamais rien faire soi-même et notamment jamais les dépasser [...]. Bref, soyez modestes, connaissez bien la valeur des œuvres de ceux qui vous précèdent, inspirez-vous en et soyez créatifs. C'est la définition même de la maturité intellectuelle3 ».

Il est intéressant de noter que la métaphore concerne aussi l'attitude des moins jeunes et notamment celle du chercheur. Car ce dernier, recueillant avec humilité dans un réseau de savoirs et de pratiques, les éléments les plus pertinents pour construire sa réflexion, tente aussi, avec ce matériel, de frayer des lignes de discernement, d'apporter des rectifications, de faire progresser ce champ de connaissance, quitte à le critiquer radicalement. Ainsi, le postulat de l'investigation qui s'aventure dans l'antre du producteur est marqué par une double résistance : d'une part, résistance à l'esprit de déférence qui se laisserait dire tout ce qui plaît au maître, et, d'autre part, résistance à la posture de l'ignorant étanche aux expériences des autres.

Un cas de figure emblématique de la mise en spectacle d'usine peut être désigné comme premier exemple et situation d'antre. Ce cas a la particularité de transformer un site de production ordinairement soumis au secret industriel en un showroom savament scénographié. La théâtralisation commerciale est restituée dans un film enregistrant (lui, sobrement) l'espace mettant en valeur l'activité de la chaîne industrielle d'assemblage automobile comme couronnement de l'acte de production et glorification de la finition. L'usine fût conçue pour la production du modèle Phaeton et propose ainsi aux clients et visiteurs un coup d'œil sur le montage final de leurs véhicules. C'est donc un dispositif de mise en scène qui ne présente pas la variété des postes de travail qui concourent à l'activité productive (comme on peut la voir, par exemple, dans le documentaire de Louis Malle « Humain, trop humain4 ») mais magnifie avec un luxe de détail le geste de la main de l'assembleur — valeur ajoutée qui parachève le produit haut de gamme — et le fait passer au registre d'une tâche d'exécution savamment agencée, visant la perfection agile, économique, optimisée, mais surtout offerte à la séduction d'un client. Cette mise en scène fait que la ligne d'assemblage s'apparente plus à la vitrine de la multinationale, au siège de la société ou à une sorte de musée, plutôt qu'à une usine. Le client peut visiter le dispositif-spectacle de l'enseigne comme il se divertirait d'une attraction, se satisfaisant alors de la fluidité d'un théâtre d'opérations contrôlées, tel l'amateur d'art, spectateur, qui, à l'âge classique, contemplait l'effet produit par la disposition convenable des parties d'un tableau. Détaillons.


Marion, Grégory, illustration d'une passerelle de « la fabrique de verre », ou Volkswagen Phaeton factory de Dresde (Allemagne) d’après un photogramme extrait du film de Daniel Eisenberg The Unstable Object, documentaire, 69 min (1h09), Format: couleur, HDV/XDCam, 2011.

1. Agir — le spectacle culturel de l'exécution maîtrisée

1.1 Le cas de « la fabrique de verre » de Dresde

« The Unstable Object » est un film documentaire de Daniel Eisenberg5, il commence par des prises au cœur de la VW Phaeton factory de Dresde, l'usine Volkswagen qui assemble les plus grosses berlines de la marque, aussi appelée die gläserne Manufaktur ou « la fabrique de verre ». Dans cette usine, ce qui frappe c'est la surenchère de la visualité qui met littéralement en scène la ligne d'assemblage automobile comme un défilé célébrant l'optimisation technique. La lenteur des mouvements de tapis roulant associée à la précision des machines fait mieux paraître le détail des carrosseries dans leur « pristin » état. Même si la chaîne de production semble prise dans une enceinte de bureaux, comme intégrée au secteur tertiaire qui la surveille, les volumes sont vastes et les façades vitrées apportent une lumière naturelle qui conforte l'exactitude de l'exécution. Cette lente marche solennelle et automatisée pourrait sembler austère et spectrale si une équipe de techniciens en blouse blanche n'y apportaient pas son concours. Ce sont eux qui, dans cette orchestration savante, le plus souvent équipés de gants blancs intacts, sont chargés des opérations de motricité fine: passage de câble, clipsage, visseries, montage au maillet du joint d'étanchéité. Cet assemblage « à la main », qui ralentit la cadence du processus de fabrication robotisé, « contact inutile mais très apprécié6 » dira Eisenberg, est le symptôme d'une société hyper-industrialisée qui veut bien retrouver le sens du tact mais sous l'espèce restreinte d'une valeur ajoutée, particularisant le produit sériel. Cette atrophie tactile, on peut la nommer exécution, par opposition à l'expérience opérante qui se risque dans une production dont la genèse n'est pas surdéterminée. Exploitée au profit d'une fabrication devenue spectaculaire, l'amplitude des faits d'opérations est calibrée en de précautionneux gestes, absolument déterminés, cadrés, et aux antipodes d'une conduite ouverte des opérations, de curiosité technique, telle qu'on la trouverait dans l'atelier d'un mécanicien. Cependant, la scène livre un impressionnant spectacle sensoriel et bien que l'accent soit porté sur l'aspect visuel, la bande son du film joue un rôle tout aussi prégnant: le silence des travailleurs laisse résonner les claquements, cliquetis et ajustements de leurs manœuvres dans le bruit de fond résiduel de l'espace profond. Il y a donc ici une expérience de synesthésie ; dans un contexte où c'est la vue qui est prédominante, le toucher et l'ouïe sont influencés, tempérés, asservis au règne des perspectives, des aménagements planifiés. Les faits et gestes des travailleurs, qui sont des opérations méticuleuses de finition, observables depuis les passerelles ou même de près par les visiteurs, semblent prendre une emphase suprême, dans les grands volumes qui jouent comme caisse de résonance. Mais au sein de cette théâtralité solennelle, bien que tout soit disponible sous nos yeux, l'effectuation est intériorisée. Comme l'explique l'auteur du film :

« J'ai commencé ce projet en filmant l'environnement d'une des usines les plus « avancées » en Allemagne. L'usine Volkswagen Phaeton à Dresden, « Die Gläserne Manufaktur » (« La Fabrique de verre »), c'est un des concepts d'usine de plus haut niveau dans le monde. Il inclut l'idée de « fabrication comme spectacle culturel » et l'idée associée d'objet de masse « individualisé ». L'expérience culturelle de regarder sa propre voiture en train d'être produite par des spécialistes est ici principale. Beaucoup de ces thèmes sont les extensions de concepts déjà développés dans l'industrie automobile, mais ils sont articulés de façon tout à fait unique au sein de cette usine. Des prises de vue en haute définition avec de longs plans et des espaces profonds, l'usine devient un « tour de force » architectural et technologique. Dans l'usine de voiture la visualité et la visibilité sont deux des produits principaux, car l'usine est elle-même un site où les clients viennent pour observer leur automobile assemblée à la main. Ce ralentissement du processus de fabrication produit de la valeur et de la rareté à travers le contact inutile, mais très apprécié de la main humaine. La séquence est marquée de longues prises et un cadrage large, mettant l'accent sur l'architecture et la lumière7 ».

Tels des figurants dans un tournage hollywoodien, les ouvriers en costumes de laborantins sont amenés à jouer la comédie, pantomime d'une spécialisation technicienne comme gage de qualité et les visiteurs, à la façon de touristes, viennent consommer le spectacle d'un travail non-seulement scénographié mais encore sur-joué.

Le visionnage de la séquence d'Eisenberg qui présente cette liturgie — ensemble réglé des cérémonies composant le culte de la divinité automobile — fait simultanément penser à l'analyse de la DS chez Roland Barthes8, à « La Société du Spectacle » de Guy Debord9, à Jean Baudrillard10 et à l'ironie mordante des photographies de Martin Parr pour l'agence Magnum qui documentent l'industrie du tourisme de masse.


Marion, Grégory, illustration de la chaîne d'assemblage de « la fabrique de verre », ou Volkswagen Phaeton factory de Dresde (Allemagne) d’après un photogramme extrait du film de Daniel Eisenberg The Unstable Object, documentaire, 69 min (1h09), Format: couleur, HDV/XDCam, 2011.

Mais la mythologie de la fiabilité industrielle ne date pas d'hier, un de ses fidèles instruments de représentation s'incarne dans la figure charismatique du designer intégré, qui, au sein d'un bureau d'étude, joue le rôle du chef d'orchestre, collaborateur critique et relai médiatique d'une enseigne.

1.2 Le bureau d'études de Dieter Rams

Le film de Gary Hustwit sobrement intitulé Rams11 est l'un des rares témoignages qui porte à la connaissance du public un matériel documentaire précieux et fait place au regard rétrospectif auto-critique du designer. On l'y retrouve dans plusieurs entretiens récents à quatre-vingt-quatre ans, méditatif et comme repenti — il était déjà revenu sur sa carrière avec un certain regret lorsqu'il disait en 2009 : « si c'était à refaire, je ne voudrais pas être designer12 ».


Marion, Grégory, portrait de Dieter Rams d’après un photogramme extrait du film de Gary Hustwit, Rams, documentaire, 1h 14 min., 2018.

Mais on y voit aussi le tenant du Less but better plus de quarante ans auparavant, à la fin des années 1960, à l'époque où il avait déjà conçu avec son équipe tous les modèles qui auront fait rentrer les produits Braun dans les collections du MoMA. Il rappelle que c'est à partir de ce moment qu'on se mit à l'appeler « Mr. Braun ».

Naturellement, cela a entraîné des problèmes qu'il aura tenté de résoudre, explique-t-il, en mentionnant les noms de tous ses collaborateurs. Mais cela aurait dû se passer autrement, on aurait toujours dû présenter le travail en groupe, avec tous les autres. Pour donner une idée de cette mise à l'ombre que la postérité d'un seul engendre, citons quelques noms, une dizaine de ses collaborateurs et pairs, qui ont contribué à la solidité du design au sein de la firme allemande, en associant à chaque fois un produit dont ils ont la paternité.

Pendant la période où Rams y sera actif (il rejoint Braun entre 1953 et 1955 et deviendra chef de la conception de 1961 à 1995) on trouvera parmi eux Fritz Eichler (radio SK 1 - 1955), Wilhelm Wagenfeld (lecteur de disques PC3 - 1957), Herbert Lindinger (système radio-phono Studio 1 - 1957), Hans Gugelot (radio SK 4/10 - 1956) Jurgen Greubel (radio T41 - 1962), Reinhold Weiss (ventilateur HL1 - 1961), Gerd Alfred Müller (rasoir Sixtant SM 31 - 1962), Dietrich Lubs (calculatrice de poche ET 66 - 1986), Richard Fischer (caméra EA 1 - 1964), Robert Oberheim (Projecteur FP 1S - 1965), Peter Hartwein (enceinte Studiomaster 2150 - 1979). Cette liste de designers, restés, pour la plupart (exceptés Gugelot et Lindinger) dans un relatif anonymat, laisse rêveur et place devant nous la question de leurs interactions, débats, discussions — entre eux — mais également avec les autres discutants décideurs des projets c'est-à-dire les ingénieurs, les tenants du secteur commercial et autres responsables. Un champ passionnant de recherche approfondie s'ouvre ici pour mieux comprendre la teneur des problèmes rencontrés pendant le développement en négociation permanente d'un produit.

Ce déséquilibre regretté de l'aveu même du designer qui endosse en quelque sorte la culpabilité d'avoir été mis en avant, projeté comme responsable, porte-parole d'une équipe ou encore la figure révélée du designer intégré, est à nouveau renforcée aujourd'hui par le choix du réalisateur Gary Hustwit qui propose un portrait très intimiste exclusivement focalisé sur Dieter Rams. Le designer, personnage photogénique, sorte d'acteur malgré lui, héros calviniste de l'élégance industrielle, téméraire et entier, dans son environnement quotidien, minéral, ordonné jusqu'à l'épure clinique, se prête au jeu flatteur du visionnaire qui dessine, conçoit, décide, organise, planifie et agit.


Marion, Grégory, illustration de Dieter Rams en situation de travail d’après un photogramme extrait du film de Gary Hustwit, Rams, documentaire, 1h 14 min., 2018.


Marion, Grégory, illustration de Dieter Rams dessinant au bureau d’après un photogramme extrait du film de Gary Hustwit, Rams, documentaire, 1h 14 min., 2018.

Les rares documents historiques qui attestent des moments de négociation et d'échange entre ses collaborateurs au sein du bureau d'étude chez Braun, mais aussi en atelier, en usine, ne sont que subrepticement présentés, comme édulcorés, en comparaison aux longs plans-séquences qui nous immergent chez lui. Sa maison, située à Kronberg, en bordure des forêts de Taunus, fait aussi partie d'un lotissement que Rams a contribué à planifier, elle est donc entièrement conçue et meublée selon ses plans et principes, il y habite avec sa femme depuis 1971. Un exemple de durabilité certes, la « maison-témoin » de Dieter Rams, qui se prête si bien aux très beaux clichés, est un diagramme de sa conduite comme projeteur : sobre mais finalement pas si discrète, voire quelque peu écrasante.

L'époque contemporaine a vu fleurir un certain nombre d'initiatives de designers qui contrastent singulièrement avec la position classique de concepteur que Rams aura incarné, architecte vérifiant, examinant au sein d'un laboratoire scientifique et industriel « la qualité esthétique [qui] signifie parler de nuances, quelquefois de fractions d'à peine un millimètre, de graduations très subtiles, ou de l'harmonie et de l'équilibre de plusieurs éléments visuels fonctionnant ensemble13 ». Une large partie de la génération des designers qui a émergé au tournant des années 2000, sous l'influence du dutch design, aura fait porter ses efforts sur la démonstration que l'autoproduction peut inventer avec une désinvolture, pour un temps libératrice, sa propre voie industrieuse, son parc-machines et une forme d'organisation spécifique qu'on voudrait croire « autonome ».

1.3 La grotte de l'autoproduction: un néo-artisanat de niche ?

Des designers comme Nacho Carbonell ou Julien Carretero, issus de la Design Academy d'Eindhoven ont très tôt, dès leurs études en fait, élaboré le chantier d'une pratique sinon autonome du moins transfuge. Catherine Geel parle à ce propos du :

« "décollement de l'industrie" que l'on peut observer depuis les années 1980, et plus récemment en Hollande ou la notion d'indépendance et d'autonomie également commerciale est mise en avant dans le cursus même des études. Le projet de diplôme consiste à la mise au point d'un produit "original", "particulier", qui pourra certainement trouver son marché. La maîtrise de sa technique de fabrication ou d'auto-production est alors la clef d'imposition du produit par le designer sur le marché des galeries, des concept-stores ou des boutiques de musée. La question reste : s'agit-il d'une autonomie réelle ou feinte à long terme ?14 »


Marion, Grégory, portrait de Nacho Carbonell dessinant dans son atleier d'Eindhoven sa « Hot Kettle » pour le prix Seb de la Villa Noailles, 2007.

Mais au fur et à mesure que leur visibilité et notoriété d'auteur grandissait, leur velléité d'indépendance aura certainement été rattrapée par les opportunités de collaboration diverses et variées. Le phénomène mérite d'être examiné avec soin. Il a fait l'objet d'un colloque dédié aux enjeux de l'auto-production à l'Esad de Reims en 2012 : « Mettant en cause des modèles de développement, de consommation et de représentation de l'industrie à grande échelle, de plus en plus de designers choisissent — ou sont contraints — de se (ré)approprier le territoire de la production15 ».

Présentée comme « alternative » économique, la promesse d'une émancipation de la condition industrielle contemporaine par l'auto-production laisse présager une sortie miraculeuse hors de la société de consommation. Le designer trouverait-il vraiment en elle une voie pour se passer de la grande industrie ? Ces espérances qui chantent les louanges d'une société proto-industrielle ou post-industrielles, ne sonnent-elles pas plutôt comme un repli ou un déni ? Car elles semblent oublier que les moyens dont les auto-producteurs ont du mal à se passer (impression 3D, commande numérique ou autre machines, envoi de fichier au format PDF, suite Adobe, nouvelles technologie de l'information et de la communication, GAFAM, services de transport, grands distributeurs, etc.) sont fonction d'un marché globalisé et qu'en tant que tels ils font partie intégrante d'un vaste système hyper-consumériste. L'autonomie supposée des pratiques dites d' « auto-production » qui mettraient en œuvre, à l'écart des grandes forces industrielles, des manières de faire avec les moyens du bord, est donc néanmoins fille d'un milieu technique, d'une époque, de méthodes et d'outils industriels. L'indépendance de ces productions est par conséquent toute relative, à discuter de près, puisque l'industrie reste la condition d'une société marchande, laquelle se retrouve, entre espaces médiatiques, dans la galerie de Rossana Orlandi à chaque off du salon de Milan. On peut simplement noter qu'en matière de design le mode d'organisation qu'on désigne par « auto-production » aspire à un décentrement vis à vis de la vocation historique du designer consistant à travailler au sein de l'industrie et opère avec des unités et rythmes de production apparentés de ceux d'un artiste.

2. Opérer — le garage et le chantier comme usine

2.1 Les ateliers-bricolage de Barnabé Chaillot, territoires d'une ingéniosité profane

Biologiste activiste de « l'énergie autrement16 », Barnabé Chaillot est à la fois un bricoleur chevronné et scientifique éclairé, on pourrait aussi dire que ce curieux entrepreneur est un technicien pluriel et Youtubeur. Si le personnage facétieux des épisodes publiés en ligne n'est pas à proprement parler un « designer », la conduite « heuristique » des projets qu'il entreprend, son approche pragmatique, sa démarche scientifique, son courage inventif, participent d'une aspiration à l'autonomie au sein de la vie quotidienne et revendiquent une forme d'engagement dans une auto-production questionnant l'autonomie énergétique, qui sans doute peut-être plus inventive que l'auto-production de niche chez certains designers revendiquant leur « autonomie » comme auteur.

Qu'il s'agisse d'un « poêle dragon17 », d'une éolienne, d'un bélier hydraulique18 de cultiver des carottes19, ou encore d'un appareil permettant de produire de l'électricité par différentiel de température grâce à des modules Peltier20, la manière de faire persévérante et associative de Barnabé Chaillot, explorant les quatre éléments — l'air, le feu, la terre et l'eau — procède à tâtons, par tentatives, vérifications, essais, jamais pleinement satisfaits ; ce travail cherche inlassablement à faire mieux avec « les moyens du bord » en amont et en aval de la production des artefacts dont il diffuse l'expérience bricoleuse. Cette pratique de « bricolage » répond selon Barnabé Chaillot à des principes de « frugalité volontaire », de « reproductibilité » et de « mises en doutes ». Ce qui rend cette démarche intéressante c'est que loin de faire l'apologie du DIY ou de l'auto-production pour l'auto-production, elle présente aussi ses propres limites et les difficultés rencontrées par l'autodidacte dans l'accès aux techniques. Par ailleurs, le versant communicant du Youtubeur et blogueur qui donne régulièrement des contenus auto-critiques à sa communauté ouvre à la question d'une « documentation » praticable des « manières de faire ».


Marion, Grégory, portrait de Barnabé Chaillot posant dans sa véranda, Grenoble, Novembre 2020.

Nonobstant tout l'intérêt des auto-projets bricoleurs et critiques « faits-maison » il faut toutefois reconnaître qu'il est, par ailleurs, rare ou difficile de relever d'authentiques situations bricoleuses, avérées et explicitées comme telles au sein même des entreprises de la grande industrie. Ce fut l'utopie de certains pionniers du design historique, à une époque où l'activité non-encore assurée de son champ comportait cette part d'exploration autorisant des transferts techniques précurseurs vers une production en grande série.

2.2 La Kazam machine dans le back-office des Eames

Dans les années 1940, les premières expériences de Charles et Ray Eames pour la fabrication de produits de contreplaqué moulé impliquaient une méthode laborieuse de collage de fines couches de bois, autrement appelés lamellés. Dans leur appartement de Los Angeles, transformé pour l'occasion en atelier d'expériences pour le développement de procédés, la clé de la recette aura été la mise au point d'un appareil spécifique : une presse pour le moulage du contreplaqué en trois dimensions, que Charles et Ray ont appelé le « Kazam ! ». Il s'agissait d'appliquer une pression suffisante au contreplaqué pour le maintenir très solidement et ainsi littéralement le mouler, c'est-à-dire le contraindre à se cintrer selon plusieurs dimensions. L'engin en partie constitué de parties de bicyclette détachées, comportait des pièces articulées de bois boulonnées ensemble pour supporter les hautes pressions nécessaires à la formation du matériau. Les fines couches de bois, recouvertes de colle et prises en sandwich, étaient placées contre une matrice en plâtre, tandis qu'une membrane gonflable enfermée dans la « boîte magique » recouvrait de l'autre côté les plis de bois. Une fois l'appareil solidement boulonné, les Eames regonflaient régulièrement la membrane avec une pompe à bicyclette pour maintenir les couches de bois contre le coffrage. La colle séchait en six heures. Une fois qu'elle était sèche, les designers relâchaient la pression et retiraient le modèle du moule, « Ala Kazam ! ("Abracadabra !") - comme par magie ! ». Enfin, ils découpaient à la scie la forme finale et ponçaient les bords à la main pour les rendre lisses.


Marion, Grégory, illustration de principe pour utilisation de la « Kazam Machine », ouverte et refermée, Los Angeles, vers 1941.

Ce cas d'artefact « fait-maison » est partie-prenante d'une méthode de travail bricoleuse qui teste de façon expérimentale des procédés. Ainsi, avec leur machine magique dans son contexte domestique, le couple Eames a fabriqué dans l'arrière-boutique de leur appartement, les premières ébauches des coques simples pour l'assise, ouvrant la voie expérimentale pour des fonctions diverses comme les attelles de jambes et de bras, et même des pièces d'avion, avant de réussir finalement à créer les premiers meubles en contreplaqué moulé en 1945-1946. Mais ce qui est particulièrement intéressant à relever ce sont les aller-et-retours entre le « back-office », les coulisses des designers et le bureaux d'études des firmes (eux-mêmes antichambres des usines de production), c'est que cette approche très auto-produite tire ses sources de la connaissance de procédés expérimentés par Charles Eames auprès de Eero Saarinen et trouvera ensuite sa traduction à grande échelle, sa transposition industrielle auprès du fabricant californien Evans Products Compagny pour le compte de l'éditeur Hermann Miller. Ainsi, dans cet exemple l'industrie ne s'oppose pas au laboratoire personnel des designers. La corrélation organique de la maison et de l'office (entre le bureau et l'officine, cet endroit où l'on étudie, où s'élaborent des ouvrages de science ou des remèdes d'apothicaire), reflètent chez les Eames un rapport de parenté entre la sphère privée de la chambre et celle, sociale, du bureau, une poétique où les prototypes expérimentaux testant des procédés ont cette saveur d'artefacts matriciels pour un développement industriel.


Marion, Grégory, illustration de la « Kazam Machine » dans le contexte de l'appartement de Charles et Ray Eames, Los Angeles, vers 1941.

3 Exercer — le grenier inventif et matriciel des archives

3.1 Le studio-fondation des Castiglioni

Un esprit de curiosité technique voisin et un goût pour la culture matérielle se dévoilent dans les collections du studio Castiglioni, thésaurisées dans un appartement milanais saturé de matériel pour les projets en gestation et d'armoires pleines de trouvailles, donnant au lieu l'allure d'un grenier bachelardien propice à la rêverie. La Fondation Achille Castiglioni est née le 14 décembre 2011. Son objectif principal est de cataloguer, archiver, numériser les projets, dessins, photos, maquettes, films, conférences, objets, livres, magazines, bref, tout l'univers dans lequel Achille a travaillé pendant plus de soixante ans d'activité, d'abord avec son frère Pier Giacomo, puis seul, à partir de 1968. Ce travail a commencé grâce à l'aide des collaborateurs historiques du studio et est aujourd'hui suivi par Antonella Gornati qui a travaillé en étroite collaboration avec Achille Castiglioni pendant plus de vingt ans.


Marion, Grégory, illustration de détail d'une pièce du Studio-Fondation Achille Castoglioni à Milan.

Au cours de la visite du studio du 27 Piazza Castello, on circule librement au sein de quatre pièces : on y découvre un stock conséquent de prototypes et de maquettes ainsi qu'une quantité phénoménale de boîtes d'archives qui tapissent les murs, des tables à dessin et de nombreuses autres curiosités, parmi lesquelles des épures, et esquisses de projet, un mur d'affiches ou se côtoient dans un joyeux pêle-mêle différents supports de communication, photographie, plans, coupures d'articles, on trouvera plus loin des objets anonymes qu'Achille Castiglioni a rassemblés tout au long de sa vie et utilisés dans ses cours pour incarner, à travers eux, le récit tangible et passionnant des questions importantes du design (une partie de ce matériel de premier ordre est conservé au sein des écoles polytechniques de Turin et de Milan), et enfin dans la salle de réunion sont rassemblés divers objets, dont un certain nombre d'assises, qui, sur une longue période, ont fait l'histoire du design et invitent à consulter le contenu de la grande bibliothèque adjacente.

Entre les différentes pièces il n'est pas rare de trouver une étagère truculente, ou quelque armoire remplies à craquer d'objets hétéroclites, tous très particuliers. Chacun comporte un caractère propre, technique, formel, gestuel, etc. ils donnent le sentiment, à travers leur diversité, de l'intarissable curiosité inventive de l'observateur-collectionneur et de la générosité de son caractère joueur. Il ne s'agit pas seulement d'une fantaisie de syllectimane mais d'une méthode d'approche du design, une considération, une attention accrue, un sens de l'observation du détail, une acuité pour l'intelligence, l'ingéniosité des objets quel que soit leur statut ou provenance (de l'objet paysan au produit industriel en passant par le semi-produit anonyme ou l'objet de pacotille). Cette capacité à exercer son regard, sans doute aussi le sens du toucher et son intelligence en manipulant et comparant tout un inventaire de produits est certainement la matrice de la sagacité castiglionienne, véritable archéologie du quotidien, elle fera des émules.

On peut aujourd'hui retrouver trace de cet héritage, pas seulement dans la pratique du Re-design, telle que Castiglioni la théorisa, mais aussi dans les travaux préparatoires ou méditatifs qui innervent les pratiques des designers comme Jasper Morrison, Martino Gamper, ou encore Franco Clivio, par exemple. Mais aussi Enzo Mari, qui rencontra Achille Castiglioni en 1965 et qui fut un de ses grands amis. Il témoignera dans son autobiographie de 2011 (Vingt-cinq façons de planter un clou) de la richesse fertile de cet humus d'objets dont s'est entouré Castiglioni et qui peuple encore son studio :

« Tandis que, comme professeur de cours magistral, Zanuso poursuivait le concept de « standard », Castiglioni adoptait ma méthode préférée : la praxis-théorie, théorie-praxis. Il avait des archives de centaines d'artefacts — si je trouvais quelque objet spécial en voyage, je lui rapportais — et lorsqu'il enseignait, analysant, par exemple, toutes les variantes possibles d'un marteau, il venait en classe avec une soixantaine de spécimens, chacun répondant à des tâches et des besoins différents. Il détectait l'intelligence cachée tout autant dans les dessins anonymes, que dans ceux signés, parfois également dans les miens. Parce qu'il soutenait, tout comme moi, que tout a déjà été fait des millions de fois, et que rien n'a besoin d'être inventé21 ».


Marion, Grégory, illustration d'une planche pédagogique présentée dans le Studio-fondation Achille Castoglioni.

La masse critique que fournit ce genre de grenier de stockage pour une collection d'artefacts et de curiosités techniques offre au designer un puissant outil d'analyse et un milieu fertile pour la réinvention, c'est-à-dire l'art de transformer, combiner une partie de quelque produit déjà dessiné avec la ruse d'un bricoleur et l'impertinence d'un trait d'esprit. Elle manifeste une joueuse analytique des formes.

3.2 Les archives sélectionnées et exposées ou l'anti-cabinet de curiosité d'Enzo Mari

Il y a certainement davantage de jansénisme dans le travail de progettazione chez Mari que chez Castiglioni (dont il était pourtant très proche) du moins selon l'idée que l'on peut s'en faire avec sa récente exposition-hommage, si sobrement présentée à Milan. Pourtant il est intéressant de constater des points communs entres ces deux designers italiens : des archives qui regorgent de fragments de projets, de choses et d'autres qui, patiemment collectées forment des plateformes de recherche pour aiguiser le regard critique.

« Il y avait près de lui tant d'objets humbles et anonymes, tant de fragments de constructions et industriels, vestiges d'une activité et d'une ingéniosité qui étaient désormais comme un rêve, des formes parfaites dans leur économie fonctionnelle et pourtant dépassées, défaites, des formes révolutionnaires, des formes en fer ! [...] En mettant l'anneau autour de la sphère, vous aviez Saturne22 ».

La grande exposition retrospective à la Triennale de Milan « Enzo Mari curated by Hans Ulrich Obrist » est une occasion rare de faire retour sur l'ensemble du travail du designer, disparu quelques jours seulement après l'inauguration de cet événement majeur. Mari avait exprimé en 2016 dans un article du quotidien le Corriere della sera23 son souhait de léguer ses archives à la ville de Milan mais à la seule condition d'en sceller l'accès pour les quarante prochaines années. On y apprend en outre que l'idée d'une « maison-musée » où conserver les espaces de travail avec ses œuvres, à l'image du Studio-Fondation Castiglioni, ou encore de celui de Magistretti lui faisait précisément horreur, de peur qu'un tel choix ne propage des « évaluations philosophiques incorrectes » à l'égard de ses œuvres, ou encore que cela ne propose qu'une mise en scène « vulgaire ».

Pas de muséification donc mais une archive, voulue sans mise en scène, comme patrimoine actif et générateur d'idées, dont l'objectif principal serait de transmettre « l'histoire du travail de conception ».

C'est la difficile problématique à laquelle se trouve confrontée Francesca Giacomelli, co-commissaire de l'exposition à la Triennale et qui a eu la charge de travailler avec lui pendant plus de dix ans, d'observer sa méthode de recherche, eu la chance de pouvoir écouter ses révélations, ses craintes, ses échecs, ses affirmations primitives, ses thèses, ses axiomes et postulats :

« Comment conserver tout ce qui constitue le corpus du cabinet de curiosités de Mari -- les dessins, les prototypes, les modèles, les instruments, les notes sur les projets non-réalisés et sur ceux qui ne prendront jamais forme, les structures, les manifestes, les œuvres, les échantillons de production, les livres, les lettres, les catalogues, ses textes manuscrits et ceux qu'il a rejetés, les photographies, les bois, les marbres, les verres, les compassi d'oro (le prix reçu en 1967 pour la recherche individuelle en design, et le dernier en 2011 pour la carrière entière), le lauree ad honorem, les objets anonymes qu'il aurait voulu avoir conçu, ceux trouvés et élevés au rang d'archétypes de qualité formelle, les faux, les poutrelles, les moules et la poussière qui les recouvre, les enveloppant comme une mémoire temporaire, tous les reliquaires des archives de place Baracca? Les archives forment un journal complexe codifié et dans lequel Mari a recueilli et conservé ses révolutions programmées. Franchir le seuil de cet espace me rappelle toujours au Merzbau de Kurt Schwitters, l'œuvre de sa vie, hermétique et intraduisible, en croissance permanente, comme une forme d'existence latente en attente d'être révélée sinon oubliée à jamais. L'ermitage risque de s'effondrer, il doit être défendu, son démembrement potentiel doit être évité24 ».

Giacomelli, avait assisté et coordonné le dernier projet d'exposition de l'auteur : « Enzo Mari. L'arte del design » (« Enzo Mari. L'art du design »), la plus grande exposition anthologique consacrée à l'œuvre de Mari, avant celle de 2020-21 à la Triennale, organisée à la GAM (Galleria Civica d'Arte Moderna e Contemporanea de Turin en 2008-2009). Il s'agit d'un projet global comprenant le commissariat, la conception de l'exposition et le catalogue, entièrement conçu et réalisé par le studio d'Enzo Mari. Une œuvre qui rassemble concrètement la dernière — et peut-être la seule — sélection par l'auteur lui-même des projets qu'il considérait comme emblématiques, organisés selon la sévérité draconienne de l'ordre chronologique.

« Au cours de son activité de recherche, Mari a réalisé près de deux-mille projets, opérant principalement dans les champs de l'art et du design, sans oublier le graphisme, l'architecture, la didactique, la réflexion philosophique, etc. L'auteur n'a jamais voulu subdiviser ou structurer hiérarchiquement son travail en des champs de recherche séparés25 ».

En plus du premier parcours d'exposition qui consiste en un remontage de l'anthologie de 2008 « Enzo Mari. L'arte del design », pour apercevoir, comprendre et apprécier les qualités des travaux de l'auteur de façon plus complète, Giacomelli a proposé un second parcours qui rythme la constellation des projets de Mari en dix-neuf archipels qu'elle nomme « plateformes de recherche », sobrement signalées par des acronymes « PDR1 », « PDR2 », etc. pour « Plataforma de ricerca ».

Dans cette structuration sobre et magistrale de l'œuvre sont toutefois éludées les hésitations et repentir de celui qui effectue une recherche et procède de façon erratique parfois. Une présentation finalement soigneusement étudiée, d'un rationalisme imparable se dresse et déploie la logique d'un protocole de vérification systématique des hypothèses esquissées, développe en évitant les heurts les formes de projets réalisés avec maestria. Comme le signalera Giacomelli pour l'exposition de 2008 au GAM : Mari décide d'exclure de l'exposition et du catalogue toute référence au matériel préparatoire des projets, parce qu'il le considérait comme potentiellement incompréhensible pour les visiteurs ; mais dans ses commentaires sur le projet d'exposition, recueillis dans les «Note biografiche» (texte principal du catalogue de l'exposition de Turin), il a tenu à préciser qu'il aurait été utile « d'illustrer le processus d'avancement de chaque projet sur la base des centaines et des centaines de petits croquis cursifs (sténographiques) relatifs aux alternatives techniques et grammaticales, dont la plupart étaient incompréhensibles pour le public. Est exposé, comme seul exemple, le processus de conception de l'oie [sérigraphie de la Serie Della Natura, N.8 : L'oca (1967)] parce que dans ce cas il est compréhensible par tous26 ».


Marion, Grégory, portrait d'Enzo Mari chez lui, à son bureau, évaluant un pied de table pour Muji.

Ainsi, on ne peut que constater qu'une part dormante de la Wunderkammer silente («le silencieux cabinet de curiosité») reste comme expropriée du champ de la visibilité, du fait du choix de l'auteur-même, préférant mettre en valeur les épures, la construction de grammaires, l'invention de langages communicant des connaissances dans leur essence. C'est pourtant à l'état vif, naissant, des ébauches et esquisses que l'analyse des choix pourrait aussi se lire, comme dans certains tracés fugaces trop peu présentés et oubliés et que l'on peut retrouver dans l'ouvrage de référence sous la direction d'Arturo Carlo Quintavalle paru en 198327 qui publiait avec une grande générosité dans de nombreuses illustrations en noir & blanc les schizzi (les esquisses) d'Enzo Mari. On peut alors penser à une autre forme de présentation de l'antre du designer qui ferait la part belle à la formation de ses recherches, à leur proggettazione, un vocabulaire — il faut le noter — qui peut faire entendre, pour peu qu'on y prête attention, l'idée du développement d'un projet en train de se faire, proche de celle de germination et de gestation, un « faire projet » en évolution constante, qui fait place à du non-résolu d'avance et suppose la mise en discussion persévérante, raisonnée, des considérants d'un problème, dont la proposition formelle ne produira mais qu'après coup, per forza di levare28, une synthèse.

4. Effectuer — L'esprit des vorkurs ou « l'apprentissage actif de la forme » chez Josef Albers

Cette question de la gestation des formes parfois volontairement mise à l'écart de la visibilité aura pourtant été un enjeu majeur au moment historique où Gropius décide de donner à des artistes comme Kandinsky, Klee, Albers et Moholy-Nagy la place décisive qu'on sait au sein de la pédagogie du Bauhaus. Pour les futurs designers et architectes, aux fondements du parcours pédagogique du Bauhaus, il y a eu cet espace d'exploration appelé « Vorkurs » (classe de cours préparatoire). Un des traits de la situation d'apprentissage à laquelle travaille ce cours est la stimulation de la perception et l'encouragement à faire de véritables expériences suscitées par l'énergie questionnante et responsabilisante des maîtres (successivement Itten, Albers, Moholy-Nagy).


Marion, Grégory, portrait de Josef Albers en pédagogue entouré de ses étudiants, cours préparatoire (Vorkurs) au Bauhaus de Dessau en 1928 (à droite), et cours sur la couleur au Black Mountain College de Yale en 1944 (à gauche).

Dans un texte majeur de 1928, intitulé « Apprentissage actif de la forme », Josef Albers expose donc une « méthode inductive d'enseignement » :

« L'invention constructive et l'attention nécessaire à la découverte s'épanouissent — tout au moins chez le débutant — au moyen du bricolage, du jeu et de l'essai avec des matériaux sans utilité immédiate, sans contrainte, sans influence, donc sans préjugés. Au moyen donc d'un travail expérimental non spécialisé, c'est-à-dire non alourdi par la théorie29 ».

Il s'agit d'apprendre pas à pas, par le travail pratique, à travers l'expérience, l'observation, l'articulation et non par le truchement de l'imitation. Ce sont les formes matérielles et leurs effets sensoriels, perceptifs qui sont sans cesse interrogés, travaillés, combinés par les étudiants dans une forme de situation bricoleuse à la fois jouissive et sérieuse, où chacun faisant avec ce qu'il a dans le cadre limité du cours, est amené à cultiver sa sagacité, à développer son acuité, à exercer et entraîner ses facultés sensorielles. Pas de concept préalable et impérieux : le raisonnement intellectuel, la projection d'intention et la sphère de la signification ne prennent donc pas le dessus sur l'approche vive et factuelle des matériaux à considérer pour leurs capacités intrinsèques et à transformer pour en manifester l'intensité. La science du concret que propose de cultiver cet atelier d'expériences formelles qu'était le cours préliminaire du Bauhaus, exclut le principe d'une forme à représenter qu'il s'agirait d'imprimer à toute force à un support, elle soutient au contraire une considération aigüe des matérialités les plus diverses comme moyens, ainsi qu'une sensibilité attentive à ce qui préexiste, qui est donné, pas forcément uniquement dans la nature, mais qui, artefact, se présente et s'offre aux sens, à la main, aux outils, aux machines.

5. Éprouver — l'exil in/volontaire ou « le monde comme projet »

Une manière peut être plus aventureuse d'habiter l'espace-temps de la production est celle qui consite à éprouver le monde comme projet, en faisant des voyages. Les notes de voyage d'Ettore Sottsass au Nord Yemen ou en Inde, incluant de nombreuses photographies et qui donneront lieu par ailleurs à des séries d'objets comme celle des « souvenirs indiens » (« The indian memories30 »), forment une archive de prises de vue qui témoignent d'un regard posé sur l'expression culturelle de formes vernaculaires curieuses, bigarrées et d'une richesse toujours renouvelée.


Marion, Grégory, portrait d'Ettore Sottsass en voyageur, d'après la première de couverture de l'ouvrage Sottsass, Ettore, There is a Planet. Texts and photographs, Milan : Mondadori Electa, 2017.

De même, The good life — Perceptions of the ordinary31, livre concis mais non moins dense publié en 2014 par Jasper Morrison, propose un cas de figure particulièrement intéressant d'observatoire où l'exploration du monde dans sa diversité et dans son universelle capacité inventive est enregistrée par le designer : la sélection d'un ensemble restreint de trente-quatre photographies que l'auteur accompagne chacune d'un court texte mettant l'image en tension, alertant, le regard en soulevant des interrogations. Morrison y décèle avec l'acuité d'un observateur en éveil, des situations quotidiennes où l'usage a fait émerger des réponses, des organisations, des « trucs » relevant de techniques ordinaires, des déplacements de fonction, des arrangements, des inventions anonymes, etc. Les nombreux films des Eames, documentant des sujets aussi variées que les pratiques liées aux toupies, à la préparation du pain, la célébration du Día de Muertos au Mexique, ou l'analyse d'un aéroport, montrent la portée d'une extension de l'intérêt du designer pour le monde comme il va bien au delà de sa sphère professionnelle, touchant à une forme de curiosité humaniste et qui cherche dans les cultures des autres des possibilités d'exploration nouvelles.

Un autre exemple, plus contemporain cette fois, où se fait jour la conduite du designer comme technicien-voyageur et anthropologue de situations productives pourrait être celui de Max Lamb.


Marion, Grégory, illustration de Max Lamb travaillant des blocs de granite pour le mobilier pour le flagship de la marque suedoise Acne Studio à Milan, 2017.

Car, en effet, se déplaçant sur des sites dans lesquels il participe avec son corps et des machines à transformer quelque ressource et à tirer parti des spécificités techniques locales, ce designer, également muni d'un camion utilitaire, documente systématiquement les divers milieux techniques qu'il aborde avec un esprit radical et premier. Les documents qu'il établit font comprendre les différentes étapes des procédés essayés et instruisent des manières de faire, des résultats transitoires, des appareillages et des chantiers toujours géographiquement situés et renseignés en détail. Ainsi, la médiation de son site-web permet-elle une approche assez fine des différents bassins productifs et pourrait presque opérer comme des plateformes de recherches en anthropologie des techniques. Ce souci de donner et de passer aux autres, de présenter le back-office, plutôt que de promouvoir l'idée ou le produit rapproche les démarches des designers engagés dans un travail documentaire approfondi du propos de David Graeber soulignant :

« Quand on réalise une étude ethnographique, on observe ce que les gens font, et on essaie ensuite de découvrir la logique symbolique, morale ou pragmatique implicite qui sous-tend leurs actions ; on essaie de découvrir la logique derrière les habitudes et les actions de gens, logique dont ils ne sont pas complètement conscients. C'est précisément là un des rôles évidents de l'intellectuel radical : observer ceux qui créent des alternatives viables, essayer de comprendre quelles peuvent être les implications plus larges de ce qu'ils font déjà et offrir ensuite ces idées, non pas comme des prescriptions, mais comme des contributions ou des possibilités, comme des dons32 ».

Conclusion: « déblayer les décombres qui obstruent les images »

Cette pérégrination à travers plusieurs cas de figure valant pour des antres de production n'aura sûrement pas permis de mettre au jour tous leurs secrets de fabrication, ni d'épuiser la question de cette exploration. Toutefois, l'investigation menée trouve peut-être un de ses intérêts dans la relève d'une forme de duplicité entre ce qui est ostensiblement communiqué, diffusé dans les supports officiels, le «front-office», et ce qui se joue dans les coulisses, la nature précise d'un travail dans l'intimité et dont les modalités d'organisation, les enjeux, semblent être extrêmement variés d'un designer à l'autre. Travaillant de surcroît à la disputation des postures pour tâcher d'authentifier les positions effectivement adoptées par les designers nous informant de leur rapports aux outils, aux moyens, aux espace de production, et à leur mise en scène ce territoire d'enquête reste encore en friche, cependant quelques jalons ont pu être proposés qui permettent de repérer cinq tendances ou modalisations du «faire projet».

Aujourd'hui, la plupart des professionnels qui inscrivent leur travail dans le champ du design ne se soucient pas de documenter scientifiquement et de transmettre l'aventure constituée par la genèse et le contexte matriciel de leur production. Ou bien s'il le font c'est avec retenue, préférant faire paraître le contenu de ce travail sous les atours, supposés plus « communicants », d'un projet. Quid alors du métier, des manœuvres, du tact avec les techniques, du chantier, des gestes, des essais, des échecs, multiples itérations qui cherchent, changent et développent la forme ; part maudite ?

À l'heure des « réseaux sociaux », la mise en scène du travail en cours est devenue comme une nouvelle image d'Épinal à obsolescence programmée, elle n'a jamais semblé si accessible, et pourtant nous manquons d'authenticité dans les expériences communiquées, ainsi que de recul critique pour les déconstruire et les interroger.

« Il faut être aussi méfiant envers les images qu'envers les mots. Images et mots sont tissés dans des discours, des réseaux de significations [...]. Ma voie, c'est d'aller à la recherche d'un sens enseveli, de déblayer les décombres qui obstruent les images33 ».

Les consciences contemporaines qui ne sont pas encore captées par le flux accaparent de l'actuel doivent pouvoir s'extirper de l'état de veille et des story-telling illusoires, pour examiner de façon intempestive ce qui se joue au juste — décidément et incidemment — chez les producteurs qui ont effectivement le design pour activité. La connaissance approfondie des expériences, des outils, des lieux et des cheminements du faire, pourtant au cœur des projets de ces designers, constitue en quelque sorte, et paradoxalement, l'angle mort d'un travail encore trop peu divulgué, ni véritablement enregistré dans sa genèse c'est-à-dire dans sa dimension d'essai.

Ce constat d'une certaine pauvreté ambiante ne doit pas nous affliger, il n'empêche pas de tenter de frayer des chemins de traverses pour pénétrer, comme par effraction, dans l'antre des producteurs, ne serait-ce que par fragments ou bien au détour de témoignages rares. En relevant plusieurs aspects issus de sources (historiques et contemporaines), en dégageant les particularités des espaces et attitudes adoptées par les designers — mais aussi par les artistes et les industriels — ce carnet de notes aura tenté d'indiquer des modes opératoires tendus entre art.s et design.s et de proposer un registre métaphorique pour penser la diversité d'atmosphères qu'offrent ces différents bassins de production.

Bibliographie

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  1. Souriau, Étienne, Du mode d'existence de l'œuvre à faire, dans Bulletin de la société francaise de philosophie, CNRS, 25 février 1956, p.16. 

  2. De Salisbury, Jean, Metalogicon (III, 4), 1159. 

  3. Dumez, Hervé, « Sur les épaules des géants », dans revue Libellio d'Aegis, Vol. 5 (n°2 — été), 2009, p.1 sq

  4. Malle, Louis, Vautier, René, Humain trop humain, film documentaire, 75 min.,1974. 

  5. Eisenberg, Daniel, The Unstable Object, film documentaire, 69 min (1h09), Format: couleur, HDV/XDCam, 2011. Dresden (Allemagne), Chicago (États-Unis), Habiblar (Turquie). 

  6. Eisenberg, Daniel, « The Unstable Object », article à propos du film documentaire éponyme du réalisateur. Texte original de l'auteur disponible [en ligne] en langue anglaise, URL : http://www.vdb.org/titles/unstable-object ; consulté le 20/08/2021. 

  7. Eisenberg, Daniel, Op. Cit. 

  8. Barthes, Roland, « La nouvelle Citroën », in Mythologies (1957), Paris : Seuil,1970, p. 150 sq

  9. Debord, Guy, La Société du spectacle (1973), Gallimard, coll. « Folio », Paris : 1996. 

  10. Baudrillard, Jean, La société de consommation, Paris : Denoël, 1970. 

  11. Hustwit, Gary, Rams, film documentaire, 1h 14 min., 2018. 

  12. Hustwit, Gary, Objectidfied, film documentaire, 1h 15 min., 2009. 

  13. Rams, Dieter, dans Pawson, John, Minimum (1996), trad. de l'anglais par Pierre Doze, Paris : Éditions Phaidon Press Limited, 1999, p.12. 

  14. Geel, Catherine, « Le designer à l'aune de la créativité » dans Revue Mode de recherche, n°14. « Qualifier le design : entre usage, esthétique et consommation », Paris : Centre de recherche, Institut Français de la Mode, Juin 2010. 

  15. S.a., « AUTOPRODUCTION : Quand l'artiste ou le designer est producteur de son œuvre », Deuxièmes rencontres internationales de l'art et du design, ÉSAD de Reims, 24 octobre 2011. 

  16. Cf. Site web de l'auteur : http://energie-autrement.blogspot.fr ; consulté le 20/08/2021. 

  17. Un « poêle dragon » est un type de foyer à bois performant. Aussi appelé « poêle de masse rocket » à cause du son qu'il produit en fonctionnant, semblable à celui d'une tuyère de fusée, cet objet technique est généralement associé à une fonction de chauffage et de cuisson des aliments. Barnabé Chaillot l'expérimente pour l'ouvrir à d'autres finalités et pratiques : four à poterie et pizza, fonderie d'aluminium, chaudière, et l'interroge plus globalement comme une source d'énergie renouvelable et autonome. 

  18. Un « bélier hydraulique » permet de pomper de l'eau à une certaine hauteur en utilisant l'énergie d'une chute d'eau de hauteur plus faible, avec un dispositif mécanique et hydraulique.  

  19. Cf. vidéo de l'auteur : « Ep 25 : Fan de carottes » avec l'association Kokopelli. Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=1GR81MWrgXo ; consultée le 20/08/2021. 

  20. Cf. vidéo de l'auteur : « Ep 4 : Comment faire de la thermoélectricité avec un module Peltier ? » Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=GVpPmu6S_Dk ; consultée le 20/08/2021. 

  21. Mari, Enzo, Vingt-cinq façons de planter un clou (2011), à paraître, Dijon : Les presses du réel, 2021. 

  22. Mari, Michele, Tutto il ferro della torre Eiffel, Giulio Einaudi editore, Turin 2002, p.29. 

  23. Mari, Enzo, Boeri Stefano, Obrist, Hans-Ulrich, « Enzo Mari: i miei archivi per Milano » (« Enzo Mari : mes archives pour Milan »), in. journal « Corriere della sera », document disponible en ligne, URL : https://www.corriere.it/cultura/16_dicembre_29/obrist-boeri-mari-conversazione-architettura-critica-design-512cb3dc-cde6-11e6-b7f4-62190597806c.shtml ; consulté le 7/06/2021. 

  24. Giacomelli, Francesca, « Militanza poetica del costruttore di grammatiche e di rivoluzioni programmate » («Militance poétique du constructeur de grammaires et de révolutions programmées»), dans Enzo Mari curated by Hans Ulrich Obrist, catalogue de l'exposition éponyme (17 oct. 2020-12 sep. 2021), Milan : Éditions Electa, 2020, pp.77. Traduction en langue française de la citation : Grégory Marion. 

  25. Op. Cit. Giacomelli, Francesca, p.77. 

  26. Mari, Enzo, Giacomelli Francesca (dir.), « Note biografiche », dans Coll., Enzo Mari. L'arte del design (catalogue de l'exposition éponyme), Federico Motta Editore, Milan 2008, p.132. 

  27. Carlo Quintavalle, Arturo, Enzo Mari / Arturo Carlo Quintavalle (catalogue d'exposition), Parme : Éditions Università di Parma, Centro Studi e Archivio della Comunicazione, 1983. 

  28. Cette formule attribuée à Michel-Ange désigne une technique de sculpture singulière à laquelle l'artiste florentin aura voué sa vie entière : elle consiste à soustraire progressivement la matière superflue qui entoure la forme à dégager plutôt que de procéder au dépôt d'une marque nouvelle. 

  29. Albers, Josef, Apprentissage actif de la forme, « Werklicher Formunterricht » (« Teaching Form Through Practice ») (1928), dans revue Culture Technique, n° 5, 1981, pp.162-165. Document disponible [En ligne], URL: http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/28771, consulté le 07/06/2021. 

  30. Sottsass, Ettore, Pepper, Cardamom, Cinnamon, Basilico, Cherry, Lapislazzuli, Camomilla & Sugar, huit poteries hautes en couleur dessinées par l'auteur entre 1972 et 1973 et réalisées par le maître céramiste Alessio Sarri en 1987. 

  31. Morrison, Jasper, The good life - Perceptions of the ordinary (« La belle vie - Perceptions de l'ordinaire »), Zürich : Lars Müller Publishers, 2014. 

  32. Graeber, David, Pour une anthropologie anarchiste, Montréal : Éditions Lux, p.18. 

  33. Harun FAROCKI, dans Programme de la rétrospective au ciné-club de Münster, été 2001. Également cité dans Christa BLÜMLINGER, Reconnaître & Poursuivre, nouvelle éd. TH.TY., en coéd. avec le Centre Pompidou, 2017.