Le rond-point des gilets jaunes. L’improbable atelier d’un design du peu
Luc Gwiazdzinski

Luc Gwiazdzinski est géographe, Professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Toulouse, membre du LRA. luc.gwiazdzinski@toulouse.archi.fr

Résumé
L'article propose d'explorer le « design du peu » et les pratiques « ordinaires » dans la situation « extraordinaire » du mouvement des gilets jaunes, et d'examiner les qualités des productions sur les sites inhospitaliers des « ronds-points » de la France périurbaine. Il cherche à montrer comment l'urgence des conditions, l'économie de moyens et les savoir-faire des collectifs mobilisés ont transformé les pires endroits de la « France moche1 » en improbables ateliers d'un « design du peu » et de la fabrique d'utopies concrètes2.

Abstract
The article proposes to explore the "design of scanty" and "ordinary" practices in the "extraordinary" situation of the Yellow Vests movement, and to examine the qualities of productions on the inhospitable sites of the " roundabouts " of peri-urban France. It seeks to show how the urgency of these conditions, the economy of means and the know-how of the mobilized collectives have transformed the worst places of "ugly France" into improbable workshops of "designing the scanty" and manufacturing of concrete utopias.

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En France, en novembre 2018, le mouvement des « Gilets jaunes », a surgi dans l'espace public - au sens politique et architectural du terme3. En quelques semaines, les hommes et les femmes en jaune ont multiplié les manifestations dans les centres de nos villes et transformé les ronds-points péri-urbains en « communs4 » : cafés, places publiques, ateliers, forums et agoras hautement symboliques de la construction du politique. Baraquements, cabanes et aménagements divers ont pris place sur les giratoires inhospitaliers devenus des lieux de vie habités, presque ordinaires en même temps que les médias et totems5 d'une insurrection inédite qui rappelle le « Manifeste de l\'architecture insurrectionnelle » de l'architecte Chaneac qui, constatant que les espaces inutiles avaient disparu, rêvait de donner les moyens aux habitants de réaliser leurs rêves et leurs besoins en mettant à leur disposition les moyens techniques pour réaliser clandestinement des « cellules parasites6 ».

L'article propose d'explorer les pratiques de « l'ordinaire » dans la situation « extraordinaire » d'un mouvement unique qui s'est approprié les espaces inhospitaliers de la France périurbaine. Il cherche à montrer comment dans « l'urgence des conditions et l'économie de moyens7 », les pires endroits de la « France moche8 » tant décriée, ont été transformés en improbables ateliers d'un « design du peu » et en fabrique d'utopies concrètes9. Il s'intéresse notamment « aux pratiques qui allient frugalité énergétique et des moyens avec la recherche d\'une qualité matérielle, sensible, esthétique, fonctionnelle, ergonomique10 » et pose une première réflexion critique sur les contextes de cette « construction de situations11 ».

1. Le design d'un lieu ordinaire dans un mouvement extraordinaire

En résonance avec d'autres soulèvements politiques, mobilisations et appropriations critiques et créatives12 suivies par ailleurs13, le mouvement des gilets jaunes s'inscrit dans une volonté « d'intervention directe des peuples dans les affaires du Monde14 » sous la forme d'interventions dans l'espace public et de productions particulières.

1.1 Une immersion participante

La réflexion s'appuie principalement sur un recueil d'éléments engagé dès novembre 2018 sur les ronds-points de l'Est de la France, avec un zoom particulier sur le rond-point de Crolles en Isère à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Grenoble. La documentation (photographies, témoignages...) recueillie sur le site jusqu'à sa destruction en novembre 2020, l'observation des constructions et productions, a été complétée avec des entretiens de ces « designers ordinaires » et d'autres acteurs admiratifs ou hostiles au mouvement et à l'appropriation des lieux.

Dès le début du mouvement, nous nous sommes rendus sur les barrages occupés, dans les manifestations ou sur les ronds-points, plutôt que de rester prisonniers des premières analyses médiatiques, dans une posture de « géographe situationnel » – « s'intéressant plutôt au mouvant, à l'instable, au temporaire, au léger, à l'émergent, qu'au stable, au fixe, au lourd et au permanent15 » –, mais conscient des « implications16 » et des dilemmes17 pour le chercheur. Après la curiosité personnelle et l'émotion des premiers jours, l'approche du rond-point s'est appuyée sur « l'observation participante », ce dispositif de recherche caractérisé par « une période d'interactions sociales intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers pendant laquelle les données sont enregistrées18 ». L'observation quotidienne du dispositif mouvant, des dizaines d'entretiens qualitatifs, des centaines d'échanges plus informels, une « décomposition systémique19 » du site et un suivi du mouvement au-delà de Crolles, dans les manifestations, actions, regroupements et assemblées (assemblées départementales, assemblées des assemblées de Commercy, Saint-Nazaire et Montceau les Mines...), ont permis de documenter les formes mouvantes de ce surgissement, les agencements, pratiques et les rythmes de cet « improbable atelier d'un design du peu20 ».

1.2 Le surgissement d'un mouvement extra-ordinaire

Le mouvement des gilets jaunes a surgi à la fin de l'année 2018, entrainant une forme de sidération des autorités, des observateur et de la population face à ce réel « qu'on n'attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours déjà là »21. De manière fractale des individus qui ne se connaissaient pas ont répondu à un appel sur les réseaux sociaux, se sont rassemblés autour du gilet jaune, ont pris d'assaut les péages autoroutiers avant de s'installer sur le rond-point à proximité. Le surgissement des débuts a laissé la place à des rituels, à des rythmes quotidiens et hebdomadaires, à une géographie en actes22 de la mobilisation, inscrite dans les centres villes et sur les ronds-points des périphéries des villes et des métropoles.

1.3 L'appropriation d'un site ordinaire et inhospitalier

Après l'occupation des péages (Fig. 1), les ronds-points, sont peu à peu passés du statut de lieu de repli et de « camp de base » à celui de lieu « habité » – et un lieu « habité », où « l'habiter » est « un mode de connaissance du monde et un type de relations affectives loin d'une approche abstraite ou technocratique de l'espace23 » – de plus en plus confortable, de plus en plus « beau » – selon les passants et les gilets jaunes – et visible.

Fig. 1 : Prise des péages, Vallée du Grésivaudan, novembre 2018. Source : photographie de l'auteur.

À Crolles, le site proche du péage a servi à la fois de lieu de rendez-vous, d'apprentissage, voire de « pédagogie participante24 » - au sens de Tim Ingold - et de « vie quotidienne25 ». À l'entrée de la zone d'activités, les constructions ont pris place entre la route et le parking d'un supermarché avec sa station essence. Les 27 200 véhicules - dont plus de 900 camions26 - qui empruntent quotidiennement le rond-point avec leur flot de nuisances (bruit, odeurs, pollution...) n'en font pas le milieu le plus favorable à une installation confortable dans une vallée au climat contrasté. C'est pourtant là que les gilets jaunes se sont installés. Palettes, chaises, brasero, sono, drapeaux et banderoles forment un petit campement.

1.4 Des amateurs bricoleurs

Sur le rond-point personne n'est passé par un institut de formation ou une école d'art, de design, d'architecture, d'urbanisme. Ici on « fait en amateur, sans nécessairement savoir s'il est question de design27 ». On bricole des solutions en réponse à des besoins spécifiques. Ce design s'appuie sur la débrouillardise[^20^] des gilets jaunes. Ce qui pousse sur les ateliers des ronds-points est plus proche des baraques en bois des jardins ouvriers que des productions des « starchitectes28 », et rappelle les travaux d'Ugo La Pietra sur les jardins ouvriers et l'esprit d'invention des jardiniers de la banlieue de Milan29.

Les personnes qui se retrouvent ici ressemblent aux « gens de peu30 » si bien décrits par Pierre Sansot, « rapprochés par un certain mélange de modestie et de fierté, et, en particulier, par un goût commun pour des bonheurs simples ». Comme sur la plupart des ronds points de France, on trouve davantage d'actifs que de chômeurs et légèrement plus d'hommes que de femmes. Au quotidien, un noyau central composé de retraités est à la manoeuvre, complété par quelques « jeunes » entre 35 et 50 ans. Les femmes – trentenaires actives dans les secteurs de la santé, le commerce, auto-entrepreuses ou retraitées – sont majoritaires. La plupart sont venus seuls et ne connaissaient personne. Près de quatre vingt pour cent d'entre eux n'avaient jamais fréquenté d'associations de syndicats ou de partis politiques. Beaucoup ne votent plus ou zappent d'un candidat à l'autre, souvent déçus par la gauche31. On trouve beaucoup d'artisans, d'ouvriers, d'employés et même quelques agriculteurs. Certains gilets jaunes cumulent plusieurs emplois ou sont auto-entrepreneurs. Quand on les interroge, tous revendiquent avec fierté leurs origines modestes et populaires. Certains sont là en solidarité avec d'autres qui ne peuvent pas ou n'osent pas : « Je pourrais rester chez moi. Je suis là pour les autres qui ont honte de se montrer mais aussi pour mes enfants et petits enfants ». Café, repas, aménagement, nettoyage, préparation des tracts : « ici il y a toujours quelque chose à faire ».

2. Des pratiques ordinaires

Sur les ronds-points on découvre la riche expertise quotidienne de chaque individu, «détenteur de savoirs et de compétences distincts de l'expertise des élites32 ». Au fil des jours, on découvre les talents de cuisinier de l'un, de couvreur de l'autre, de musicien, d'animateur, de rédacteur parfois. Tout le monde donne un « coup de main ».

2.1 Les solutions bricolées d'un design ordinaire

L'immersion sur le site a permis de documenter et d'analyser les «solutions bricolées, des arrangements qui sont mis en place et trouvés par leurs usagers eux-mêmes en réponse avec des usages et des besoins spécifiques33 ». Ils correspondent au besoin premier de se protéger face aux intempéries mais aussi à celui d'être vus, d'occuper avec fierté et à celui d'exister face à l'indifférence et au mépris des médias et des analystes : « On se moque de nous ». Cette fabrique s'inscrit à la fois dans un mouvement unique dans l'histoire récente, et dans une sorte de quotidienneté34 celle d'une existence ordinaire et collective qui s'organise sur le rond-point autour des activités quotidiennes et atteint son paroxysme en fin de journée pour l'assemblée générale et le samedi où se déploient pour les actions. Sur le rond-point et malgré les difficultés, il y a aussi les moments ludiques, la récréation, le jeu où « le sujet joue à croire, à se faire croire ou à faire croire aux autres qu'il est un autre que lui-même35 » et parfois une fête – cette promesse de l'exception chère à Georges Bataille – pour un anniversaire, un rassemblement ou une action réussie mais aussi pour Noël, le premier de l'An, le 14 Juillet et même la Saint-Valentin. Pour les gilets jaunes interrogés, le rond-point est un peu la cabane de l'enfance, celle où l'on part se réfugier avec les copains et les copines, celle aussi où l'on accumule les choses « qui pourraient servir ». C'est « fait en amateur, par tout un chacun, sans nécessairement savoir s'il est question de design 36 ». En quelques jours, quelques heures parfois, on va assister à l'émergence progressive de constructions plus élaborée, de cabanes, mais aussi à la production de panneaux, de banderoles (Fig. 2), de tracts, voire de déguisements auxquels chacun va porter soin et attention.

Fig. 2 : Fabrique de banderoles, Rond-point du rafour, 2019. Source : photographie de l'auteur.

Les gilets jaunes ont également ce « faire » en commun, le Do it yourself, l'innovation ordinaire et l'ingéniosité quotidienne. Ils sont des amateurs, des bricoleurs, qui s'arrangent avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble « à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus37 ». Les mécanismes de coproduction et l'expertise quotidienne des participants, détenteurs de savoirs et de compétences distincts de l'expertise des élites sont valorisés. Ce design de peu est vernaculaire au sens de l'agencement de manière optimale, des ressources et matériaux disponibles pour construire et aménager dans une logique qui rejoint le circuit court, la récupération dans un environnement proche.

2.2 Un design de pénurie

Ce bricolage des ronds-points, ce « design du peu » est un design de situations d'urgence et de pénurie avec peu de moyens sur un site occupé temporairement par des gens sans beaucoup de moyens, dans un cadre contraint par les autorités. S'y déploient le réemploi, l'emprunt, le détournement, la collecte. On puise effectivement « dans des élément de seconde main, des matériaux usagés38 ». Ce design porte une attention particulière aux pratiques qui « font avec » ce système de façon détournée et qui rusent avec lui39. Ici, de l'ancienne table de salle à manger repeinte en jaune, aux draps usagers en passant par les chûtes de bois d'un chantier de charpentier, tous les matériaux trouvent une affectation. Ils sont transformés, hybridés, ré-agencés. Ce design du peu est modeste sans manquer d'ambition, d'idéaux, ni de qualités. Il ressort de ces réalisations des qualités formelles, esthétiques, structurelles et de l'invention. À Crolles, l'ingéniosité, les contraintes contournées font ressembler l'ensemble à une tente canadienne, voire à un étrange radeau, comme échoué au bord de la chaussée. Ailleurs, ils conduit parfois à des productions d'une plus grande ampleur[^28^] mettant en avant l'« audace », voire l'héroïsme ordinaire des « anonymes » : cathédrales de bois de Colombelles, près de Caen construite ou panneaux géants de ronds-points du nord de la France ornés des figures des valeureux occupants. La première évoque à la fois l'église orthodoxe construite par les migrants de la « jungle » de Calais (2016) et la gravure de Lyonel Feininger pour la couverture du manifeste du Bauhaus (1920).

2.3 Une situation précaire

Cette production s'inscrit dans un jeu de contraintes et un rapport de force avec les autorités locales auxquels le terrain appartient et avec la gendarmerie qui assure la police dans ces marges urbaines. Dès décembre 2018, les évacuations de ronds-points et leur destruction se sont multipliés à la demande des autorités ou suite à des actes de délinquance : « À Vannes, destruction des campements aux trois ronds-points40 » ; « Le préfet ordonne la destruction de Notre-Dame des droits41 » ; « Les évacuations de ronds-points se poursuivent42 ». À Beaucroissant la cabane a été détruite le 31 mars afin « de ne pas gêner la foire annuelle ». Partout les baraquements régulièrement incendiés ont été régulièrement reconstruits. Parfois, comme à Voreppe – autre rond-point au nord de Grenoble –, de destruction en reconstruction le rond-point a fini par s'éteindre. À Crolles, la cabane a plusieurs fois été détruite, détériorée, mais toujours reconstruite jusqu'en novembre 2020 où, profitant du confinement les employés de la mairie ont tout débarrassé, fragilisant l'existence du mouvement local. Dans la presse, le maire réélu a évoqué des « raisons sanitaires et sécuritaires » (déclarant) « avoir été au maximum de l'écoute » Les manifestations devant la mairie et les réactions de l'opposition municipale ne l'ont pas fait revenir sur sa décision. Depuis, le collectif tente de survivre à ce douloureux épisode et au confinement en utilisant les outils de visioconférence comme Discord puis en se retrouvant à nouveau sur le site dans le respect des consignes de distanciation.

2.4 Un art de la ruse

Installés le plus souvent de manière illégale, le rond-point et la cabane43 ont souvent tenu grâce au déploiement de ruses, au contournement de règles et à l'adaptation permanente du dispositif spatial face aux pressions de la municipalité. À Crolles, la stratégie des gilets jaunes a tenu sur trois éléments principaux : l'engagement sur le caractère « provisoire » de la cabane ; le maintien de la « propreté » du lieu mais aussi sur la « beauté du site ». L'accord oral avec la mairie qui mettait régulièrement la pression par courrier ou en convoquant des représentants du mouvement, a tenu près de deux ans : pas de construction en dur, pas de toit. Pour des questions de confort des anciens, deux « murs » en bois ont cependant fini par être construits sur trois pans, complétés par des plaque des plaques de plexiglas et une bâche amovible, retirée chaque soir, a permis de recouvrir l'édifice et de protéger du soleil et de la pluie. Côté forces de l'ordre, le rond-point avait droit à des visites régulières et les jours de rassemblement la voiture de la gendarmerie (Fig. 3) ne stationnait jamais très loin.

Fig. 3 : Echanges avec la gendarmerie nationale, 2019. Source : photographie de l'auteur.

La propreté du site était assurée par les « tauliers » - terme utilisé par les gilets jaunes pour évoquer celles et ceux les plus présents depuis le début - qui se faisaient un point d'honneur à déblayer les détritus et menaient la chasse aux négligents. Jamais les autorités n'ont pu prendre le rond-point à défaut sur cette question. Dernier élément censé participer à l'attractivité du lieu et à la qualité de vie : l'esthétique. « Il faut que notre rond-point soit beau » entendait-on sur le rond-point. En ce sens la notion peu présente au début, quand le rond-point servait de camp de repli après l'occupation du barrage autoroutier, s'est peu à peu imposée quand le site a fini par être occupé 24h/24 et 7j/7. Elle s'est renforcée quand le mouvement a rencontré des difficultés à recruter, quand il a été stigmatisé et quand les réflexions en interne se sont ouvertes à des questions de démocratie et de développement durable.

2.5 De la récupération à la qualité

Les baraquements du rond-point sont faits de matériaux de récupération : palettes collectées dans la zone industrielle proche, débris de chantiers de charpentier – l'un des gilets jaunes est compagnon – ou de menuiserie grâce notamment aux chûtes de bois de l'entreprise de menuiserie de l'un d'entre eux.

Dans les cagettes en bois qui sortent quotidiennement des camionnettes, on trouve des gamelles, des poêles de toutes les tailles, des fourchettes, des cuillères, des boites de café soluble que personne ne touche, des paquets de café moulu plus attractifs, des assiettes en carton, des verres en plastique et tout ce qui s'est accumulé en dons divers. Jusqu'au nettoyage de printemps 2019, les ustensiles envahissaient tous les matins les tables du rond-point. Ensuite, ils ont été distribués aux membres du rond-point et à d'autres car ils servaient moins, avec l'arrêt de la présence sur le site en matinée et la fatigue des transporteurs.

Les victuailles viennent du restaurant du cœur et les viennoiseries sont récupérées le matin tôt au supermarché avant destruction. Au début du mouvements des passants s'arrêtaient pour déposer des affaires, des chocolats voire un repas chaud avec une petite phrase : « c'est pour vous. On ne peut pas être sur le rond-point mais on est avec vous ».

Les panneaux installés tout autour de la cabane sont également réalisés sur des plaques de contre plaqué de récupération. La peinture fut un temps fournie par une entreprise de la zone, puis issue des stocks des gilets jaunes eux-mêmes avant de devoir être achetée dans le commerce avec l'argent de la cagnotte. Cette fabrique s'accompagne d'autres formes de récupération, de troc ou de solidarité. Les gilets jaunes qui ont un jardin distribuent fruits et légumes à l'arrière de leur véhicule. Il y a toujours quelqu'un qui partage un plat, un gâteau. Discrètement, les habits, les chaussures s'échangent au point d'entendre : « s'il n'y avait pas le rond-point je n'aurais plus de quoi m'habiller ». On loge un gilet jaune sans toit. On aide une autre à réparer sa voiture. Le matériel déposé sur le rond-point - bois, ferraille - est parfois récupéré pour d'autres usages personnels. Les artisans qui composent une partie des troupes alimentent le rond-point avec les chûtes des chantiers. Mais pas question de négliger la qualité : « notre rond-point n'est pas une décharge ». Ici, frugalité « énergétique et des moyens », la récupération et le recyclage s'accompagnent de la « recherche d'une qualité matérielle, sensible, esthétique, fonctionnelle, ergonomique ». Les habitants du rond-point prennent soin du lieu. Deux préoccupations prévalent. Tout d'abord « il faut prendre soin des anciens » qui sont nombreux et craignent les morsures du froid comme les rayons du soleil. « Il faut que ce soit confortable car on reste des heures ». L'argument est régulièrement resservi aux élus locaux quand il faut justifier le montage d'un toit de toile ou d'une plaque de plexiglass contre le vent. Ensuite, « le rond-point doit être beau si on veut que les gens nous rejoignent et qu'ils acceptent notre présence ».

2.6 Un dispositif de partage et de fraternité

Ce design de peu permet aux occupants de retrouver une place, de dépasser le mépris extérieur, et au rond-point de s'affirmer comme un espace de partage des connaissances et des compétences techniques, mais aussi de fédération des individus. C'est un « dispositif » au sens de Michel Foucault c'est-à-dire « un ensemble hétérogène constitué de discours, d'institutions, d'aménagements architecturaux, de règles et de lois, etc.44 », une configuration. Les discours sont construits collectivement, résumés et exposés sur de nouveaux panneaux et détaillés sur les tracts distribués dans les rues. Des institutions -- au sens de « croyances et modes de conduite institués par la collectivité45 » ont été mises en place. Même modestes, les « aménagements architecturaux » en palettes de bois existent, les « règles » de vie sur le site sont précisées : interdiction d'alcool, port du gilet, fonctionnement des Assemblées générales (...) et souvent inscrites dans les comptes rendus des assemblées.

La solidarité, la « fraternité » (Fig. 4) et l'entraide s'expriment dans la vie quotidienne. Les actes de solidarité se multiplient : véhicules réparés ; emplois trouvés pour les uns, mais aussi papiers remplis pour la retraite et autres services quotidiens qui font aussi de ce rond-point un pôle d'entraide et de services. De solides amitiés sont nées là. Le rond-point est un lieu de vie et non une simple localité, une « communauté d'expérience46 » en transformation permanente et non un dispositif matériel immuable, un lieu d'intensité humaine, de synergies47 et non un simple rassemblement. Car le design du peu est aussi un design collectif, la fabrique d'une confiance retrouvée qui passe aussi par des démarches administratives et l'affirmation d'un « nous » : « le rond-point c'est une famille ».

Fig. 4 : Le lien fraternel affirmé, Rond-point de Crolle, 2019. Source : photographie de l'auteur.

3. Une métamorphose du site et des hommes

En quelques semaines, avec la difficulté à « prendre le péage » et compte-tenu du temps passé sur place, l'espace ouvert des débuts a laissé la place à un cocon protecteur. Au fil des mois les qualités du site se sont affirmées et l'ambition des gilets jaunes s'est affichée : « Il faut que notre rond-point soit le plus beau » ; « Je suis fière de mon rond-point ». À cette métamorphose48 des lieux a correspondu une métamorphose des individus et du collectif. Les acteurs eux-mêmes se sont formés dans une logique de situation apprenante faisant du rond-point autre chose qu'un seul lieu d'un improbable design du peu mais un lieu de formation, de politisation, d'émancipation et de fierté retrouvée. On la retrouve aussi sur le double numérique du rond-point, sur la page Facebook où la cabane et ses aménagements ainsi que tous les épisodes marquant de la vie du rond-point sont mis en scène.

3.1 Un rond-point de plus en plus confortable

En quelques mois, l'installation démontable des premiers jours avec quelques tables protégées par une fragile tonnelle (Fig. 5), à proximité d'un brasero toujours alimenté, a cédé la place à un dispositif plus pérenne. L'installation s'est longtemps résumée à quelques palettes au sol qui ont permis de ne pas passer l'hiver les pieds dans la boue.

Fig. 5 : Le rond-point du Rafour, janvier 2019. Source : photographie de l'auteur.

Un premier tonneau fumant a servi de brasero. C'est là que finissent les palettes et le bois déposés quotidiennement par celles et ceux qui se chargent de l'approvisionnement. Un second coupé en deux fait office de foyer pour le barbecue. Le tout est stocké avec du bois sous une bâche le long de la route. Sur la toile brune en lettres fluo visibles de la route, le nom du collectif, celui de la commune et du département : « Action Crolles-38 ». Le soir venu, le site est une oasis de lumière en bord de route, la preuve d'une vie dans les « territoires du rien », un défi à l'inhabitabilité menaçante du « non-monde49 ». Sur des ronds-points voisins comme à Pontcharra ou Saint-Jeoire-Prieuré, les gilets jaunes ont construit de véritables cabanes50, presque des maisons. A Beaucroissant à quelques kilomètres de là, la construction comportait une cuisine, un poêle à bois et quelques chambres pour passer la nuit. Même chose sur d'autres ronds-points comme à Aumetz dans le nord de la Lorraine que les gilets jaunes occupaient jour et nuit (Fig. 6)

Fig. 6 : Le rond-point d'Aumetz, 2019. Source : photographie de l'auteur.

3.2 Une esthétisation et politisation en jaune

A partir de mi-mars 2019, le dispositif se compose de chaises de jardin blanches autour de gros tourets en bois - bobines servant à enrouler les câbles - servant de tables. Après la première phase pionnière les pieds dans la boue, la phase hivernale rustique avec le brasero et le plancher de palettes, des soleils jaunes en carton ont envahi le rond-point, s'installant sur les lampadaires comme une annonce de lendemains lumineux. Un parasol jaune a élu domicile sur le site et lors des ateliers (Fig. 7), des ballons transformés en planisphères ont élu domicile sur le rond-point.

Fig. 7 : Atelier de décoration, rond-point de Crolles, avril 2019. Source : photographie de l'auteur.

Après une visite aux ronds-points voisins de Pontcharra et de Saint-Jeoire-Prieuré, c'est une « demi-cabane » sans murs ni toit permanent, avec ses bancs en U décorés de rondins de bouleau, ses pots de fleurs, ses mâts et son toit de toile écrue (Fig. 8) qui a émergé, contournant la promesse de ne pas construire.

Fig. 8 : Le rond-point fleuri, avril 2019. Source : photographie de l'auteur.

Sur le rond-point rebaptisé « Rond-point de la fraternité » --une urne est apparue, un petit bureau de vote destiné à recueillir les bulletins des citoyens du territoire et leur avis sur différents référendums, a été inauguré par le groupe au son du chant des partisans. Une brochure solaire : « Appel des citoyens de Crolles et des environs » de « Gilet jaune comme un soleil » a été distribuée. Chaque samedi, le rond-point est devenu un lieu de vie et d'animation avec l'arrivée d'animaux et d'ateliers de peinture, de décoration (Fig. 8), de fleurissement qui ont permis de passer à une nouvelle phase après l'arrêt des prises de péages. Mi-avril, après les visites d'autres ronds-points, le site est devenu plus confortable et hospitalier. Il était désormais possible de discuter autour de la table ou de regarder passer les voitures, allongés sur le solarium.

Fig. 9 : Solarium du rond-point de Saint-Jeoire-Prieuré, 30 mars 2019. Source : photographie de l'auteur.

Vus de l'extérieur, les bancs en « U » délimitaient une scène, un territoire, une drôle d'embarcation. Ce design des ronds-points porté au départ par des opposants aux taxes sur les carburants, s'est peu à peu connecté aux enjeux environnementaux à travers notamment la gestion pratique des lieux de vie occupés, le croisement avec des supports de loisir créatif et les échanges développés dans une logique d'éducation populaire. Cette esthétisation du lieu et ce glissement du jaune des gilets, au soleil et à des questions d'environnement a également pris la forme d'opérations de plantation de graines de tournesol qui devaient fleurir le long de l'autoroute (Fig. 10).

Fig. 10 : Plantation de fleurs le long de l'autoroute, Avril 2019. Source : photographie de l'auteur.

3.3 Une fierté retrouvée

Ce « design du peu » n'est pas devenu un « design de peu », mais « un design pour lequel la réduction pourrait encore s'avérer heureuse51 », un design qui grandit ses artisans. Par le travail déployé, le bricolage, une fierté du faire ensemble, de s'afficher dans l'espace public, mais aussi à des mécanismes d'identification progressive des groupes au lieu de la fabrique et à la force d'émancipation de cette production collective, a émergé. Il est possible de mesurer un processus d'identification au lieu et par le lieu. Les Gilets jaunes ont construit un rond-point qui les construit mais les enferme aussi : « on n'avancera pas si on reste entre nous sur le rond-point ». Les gilets jaunes fabriquent le lieu et le lieu les façonne en retour. celle où l'on refait le monde, celui où l'on fait du feu et où l'on grignote « en famille ». C'est l'endroit où « l'on parle de tout sans crainte d'être jugé ». Chacun sait l'importance du lieu et du baraquement et en prend soin. La qualité de l'aménagement exprime ce qui est vécu là. « Le rond-point, on en est fier. C'est notre image ». En ce sens, les dégradations nocturnes subies sur le site sont mal vécues. « C'est comme si on s'attaquait à moi ». Des livres et des films52 ont documenté la vie des ronds-points déclenchant parfois des accès de nostalgie des débuts au cœur même d'un mouvement bien vivant. Cet aller et retour entre un « nous » et les « autres », - entre le rond-point et le dehors - est au centre de bien des échanges.

3.4 Une patrimonialisation progressive

Ce « lieu en plein air où l'on arrive et d'où l'on repart quand on veut », est bien un lieu de production d'un « art populaire » qui dialogue avec les œuvres qui trônent généralement sur ces giratoires sous forme de bricolages d'icones locaux ou régionaux (pressoir à vin, poterie...) ou d'installations éphémères. À Noël, les ouvriers municipaux de Crolles ont installé sur le rond-point des façades de fausses cabanes entourées de sapins que les gilets jaunes voisins ont vite fait de se réapproprier avec des pancartes et des gilets jaunes. C'est aussi un fragile « patrimoine vivant » en danger. Les destructions qui menacent la survie des groupes et du mouvement mettent aussi en évidence l'importance et la fragilité de ces lieux et de ces liens. La destruction de ces lieux crée chez celles et ceux qui les occupent - et bien au-delà - un profond ressentiment. La disparition de ces lieux de vie et de débats, l'incendie de ces agoras, l'écrasement de ces espaces publics ouverts à tous, la liquidation de ces médias et totems du mouvement jaune sont mal vécus. Preuve de l'attachement au lieu de rassemblement et de vie, les campements, cabanons sont la plupart du temps reconstruit le jour même. L'attachement est fort. Ce qui n'était qu'un bricolage pour échapper aux conditions climatiques est devenu un lieu, voire un patrimoine dont il faut prendre soin.

3.5 Un improbable atelier de savoir-faire

Le rond-point est un « atelier » au sens du « lieu où s'exécutent des travaux manuels, où se pratiquent des activités manuelles d'art ou de loisirs; p. ext. lieu où s'élabore une œuvre53 ». L'« improbable atelier » dont il est question ici est compris comme une temporalité de la création ou de la conception  d'un espace « habité ». Sur le rond-point « l'innovation ordinaire54 », l'ingéniosité quotidienne est portée par « l'amateur55 », le bricoleur, qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de « l'homme de l'art56 ». Les savoir-faire sont liés aux formations et origines diverses des gilets jaunes issus de l'artisanat, des milieux ouvrier et agricole, aux transferts et échanges de savoir sur place dans le « faire », la « conception », voire la « création ». Les aménagements se décident vite et les savoir-faire sont là, dans un réjouissant « faire soi-même » par des adeptes assumés du « système D ». Ici on s'arrange avec les « moyens du bord », c'est-à‐dire « un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus57 ». Pour monter un banc, dix minutes suffisent. Ici les fourgons des artisans regorgent de matériel : tronçonneuses, scies, marteaux, vis mais aussi bois de récupération. Il est toujours possible de trouver quelqu'un qui connaît quelqu'un qui peut nous aider. La construction semble un jeu d'enfant pour un collectif apprenant où chacun finit par trouver sa place : « Ici je me sens bien, comme chez moi ». Sur le rond-point c'est « don et contre don58 » et l'apprentissage est réciproque.

Le partage de savoir et de savoir-faire s'expérimente in vivo et in situ. Le secret d'une recette de cuisine vaut l'aide au montage d'une armature bois, la confection d'un bouquet de muguet (Fig. 11), la finalisation d'un dossier de demande d'aide ou de retraite, la plantation de fleurs (Fig. 10) , la réalisation d'un tract et d'un panneau, l'animation ou la synthèse d'une assemblée.

Fig. 11 : Conception des bouquets de muguet, 12er mai 2019. Source : photographie de l\'auteur.

3.6 Une organisation apprenante

Ce rond-point est devenu un lieu de formation et d'apprentissage par le « faire », un « territoire apprenant59 », pour qualifier des démarches permettant d'apprendre en permanence des actions de leurs membres et de celles des autres, dans une logique de réciprocité. Tous les acteurs contribuent au processus, mettant en commun leurs expertises et savoir-faire propres pour construire ensemble de nouveaux savoirs, de nouvelles manières de faire ensemble : de l'art du barbecue (Fig. 12) à celui d'animer une assemblée. En ce sens, le site n'est plus un simple réceptacle mais un « terrain d'aventure » au sens de Lady Allen de Hurtwood qui inspira ceux de Londres60 et un dispositif apprenant61.

Tous les acteurs contribuent à ce design du peu, mettant en commun leurs expertises et savoir-faire propres pour construire ensemble de nouveaux savoirs, de nouvelles manières de faire ensemble. Par le collectif, le rond-point procure à chacun un pouvoir qu'il n'a pas à titre individuel. Ce travail se fait de manière informelle par les échanges et les différentes productions : du repas à la construction en passant par la décoration. L'analyse de la vie quotidienne sur le site met en évidence l'écart entre la médiatisation de l'occupation des ronds points par les médias qui a souvent été stigmatisante et la réalité de terrain.

Fig. 12 : Le rite du barbecue, Rond-point de Crolles, avril 2019. Source : photographie de l'auteur.

Site bricolé, convivial et hors les murs, le rond-point est aussi le terrain d'émergence d'un véritable « savoir topique62 ». « Ici j'apprends tous les jours » répètent à l'envie les membres du rond-point à propos de politique, de fonctionnement des institutions ou de bricolage. Ce lieu en plein air où l'on arrive et d'où l'on repart « quand on veut », est aussi un lieu de production d'un « art populaire », au sens qui désigne « soit les objets de la vie quotidienne fabriqués artisanalement par les classes populaires63 », un patrimoine vivant en danger.

3.7 Du bric-à-brac des imaginaires à une citoyenneté visuelle

Il y a de la cabane de l'enfance, du cirque, de l'atelier artisanal, du jardin ouvrier dans ce bric-à-brac qui convoque les imaginaires – « le registre des images, de la projection, des identifications et, en quelque sorte, de l'illusion64 » – d'hier et d'aujourd'hui dans un va-et-vient entre plaisir régressif et « aventure » au sens de Jankelevitch65 ce que l'on y vit et ce que l'on espère : « le surgissement de l'avenir ». Le design du peu se retrouve aussi dans la production de tracts ou plaquettes qui contribuent au rayonnement du rond-point, mais aussi et surtout de panneaux et de grandes affiches exposées sur des supports en bois (Fig. 13) qui disent tellement du mouvement, de ses revendications et de ses évolutions : Macron démission / Europe réveille-toi, les argentiers sont devenus fous / Spéculations boursières. Le 1er des crimes et le bonheur planétaire / Droits de l'homme : Article 1. Interdire la fessée ; Article 2. Abattre les gilets jaunes à bout portant / Avant le 16/01 signez ici : Référendum Initiative Citoyenne / On ne lâche rien / Non au racisme et à toutes discriminations / Bilan à quatre mois : 12 morts. 20 éborgnés. 4 mains, 1800 condamnés, 1400 en attente, 316 en prison /On se bat pour vous / Bienvenue au rond point de la fraternité / Prime 2020. Vous pouvez nous dire merci / Demain ici, vente muguet / Ici-Gratuit. Gilets jaunes Film « J'veux du soleil », 4 mai, 21 h. Apporter siège / Grève générale / Danger retraites stop / Bonne année (...). Cet imaginaire contribue à l'émergence d'une « citoyenneté visuelle66 » - ce sentiment d'appartenance que confère le regard encore renforcé par la couleur emblématique, la signalétique, les panneaux, les tracts et les petites mises en scènes - et au renforcement du sentiment d'appartenance et de l'identité du lieu et des êtres.

Fig. 13 : Panneaux et leurs concepteurs, rond-point de Crolles, 2019. Source : photographie de l'auteur.

3.8 Des utopies concrètes et un art d'habiter

Ce « design du peu » transporte une esthétique mondialisée de la bricole, de la récupération et du recyclage qui inspire déjà nos designers et urbanistes de la transition. Cette « esthétique de la palette » et du DIY qui se déploie désormais des ZAD (Fig. 14), aux rayons des grands magasins de bricolage en passant par les camps et campements de la honte, les révolutions des places, les jardins d'utopie, les friches occupées, les tiers-lieux, les spots de l'urbanisme transitoire ou les ateliers des écoles d'architecture.

Fig. 14 : Palissade de la ZAD de Roybon, Isère. Source : photographie de l'auteur.

Ces bricolages sont des dispositifs d'espérance et d'émancipation, la matérialisation d'une « utopie concrète67 », les fragiles matérialisations de liens forts. A une micro-échelle géographique, le rond-point apparaît comme un bien commun68 car lié à une pratique collective et géré en commun69. Celles et ceux qui les ont bâtis et les occupent ont acquis une expérience. Ces femmes et ces hommes ont retrouvé en ces lieux réputés « inhabitables » une dignité qui leur était refusée partout ailleurs. Avec d'autres, ils ont développé un art d'habiter les situations et les « territoires du rien70 », un « art de la citoyenneté71 » qu'il paraît intéressant d'explorer en périodes d'incertitude et de transition.

4. Conclusion

« D'improbables ateliers d'un design du peu » ont émergé sur le rond-point de Crolles comme dans beaucoup d'autres communes périphériques du pays. On a vu que « l'improbable » tenait à la fois dans l'inattendu d'un mouvement inédit, dans l'appropriation d'un site aussi peu hospitalier que le rond-point et dans la mobilisation d'une population jusque là « invisible ». « L'atelier » a été la forme de cet « agencement » malléable en évolution permanente. Réaménagé par ses habitants, le lieu s'est adapté en temps réel aux évolutions climatiques et aux injonctions sociétales. « Atelier » car ces ronds-points furent le « Lieu où s'exécutent des travaux manuels, où se pratiquent des activités manuelles d'art ou de loisirs ». « Atelier » car équipé de tout le matériel nécessaire et mobilisant des savoir-faire mais aussi atelier comme celui où « s'élabore une œuvre dont on est fier », mais aussi l'œuvre d'un peuple qui s'est levé pour dire non, résister et proposer. « Design de peu » où le « peu » n'est pas synonyme de négligeable, ni « quantificateur de l'intensité faible72 ». Au contraire, c'est un « lieu infini73 », un espace d'apprentissage et d'émancipation qui s'est déployé là. Ce « peu » qui au départ pouvait sembler un peu restrictif a été l'occasion de découvertes, d'apprentissages. Il a mis l'accent sur la frugalité des moyens, sur la récupération, le recyclable, le bricolage, la réversibilité, soit autant de chantiers pour la ville contemporaine.

Ce peu est paradoxal. Avec une faible trace environnementale, ce rond-point totem a eu un écho considérable en termes d'image et de dynamiques humaines. Dans un moment extraordinaire, c'est un espace-temps ordinaire qui s'est déployé là au quotidien. Un lieu est né sur un objet technique de régulation des flux. Face à la crise, dans un moment d'incertitude, ce sont des personnes fragiles, des gens de peu qui ont construit sur les giratoires de la modernité désorientée, les dispositifs et les formes d'un design du peu mais également d'un nouveau « design des instances74 », des communautés75 et de la démocratie. C'est là sur des ronds-points à priori inhospitaliers, in situ et in vivo, dans quelques mètres carrés, à l'échelle de collectifs d'une cinquantaine d'actifs qu'ont été expérimentées des formes de démocratie participatives inédites et des questions qui se sont ensuite inscrites dans des débats à d'autres échelles comme le referendum d'initiative citoyenne (RIC).

Là, sur les lieux mêmes de leur asservissement péri-urbain, les gilets jaunes ont répondu à distance au philosophe Jean-Paul Dollé invitant à une « politique de l'événement » en affirmant « un désir d'agir avec les autres pour ouvrir le champ du possible et interrompre la répétition immuable du temps et de la servitude76 ». Ils ont suivi Michel Foucault77 en réussissant pour un temps à détourner un rond-point et à se soustraire de la sorte à la résignation, sans pour autant tourner en rond.

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